vendredi 27 janvier 2012

Amour

Amour : n. m.
1. Etat second dans lequel on se plonge avec inconscience suite à une rencontre. Cet état peut aussi survenir sournoisement, sans prévenir, sans crier gare, au moment où l’on s’y attend le moins. L’amour ne doit pas être confondu avec l’attirance, qui, bien qu’au bout du compte le résultat soit le même, ne rend pourtant pas aussi bête.
2. Symptômes : L’amour, lorsqu’il a vraiment contaminé tout le corps, vrille l’esprit et la raison et, comme nous le disions, rend idiot. Il se caractérise par la faculté de sourire béatement à la face du monde sans un seul soupçon, sans se rendre compte de sa niaiserie plus qu’apparente. Il peut provoquer des tremblements, des douleurs abdominales, un stress permanent et des troubles de la personnalité comme l’euphorie, les pertes de mémoire ou de concentration, parfois même l’hystérie. La personne souffrant de cette maladie devient alors distante avec ses proches, égoïste voir désagréable, n’hésitant pas à afficher une attitude provocatrice. Dans le pire des cas, l’amour rend aveugle. Il ne s’agit cependant pas d’une cécité permanente, puisque le malade oscille sans cesse entre une joie puérile et un désespoir angoissé.
3. Traitements : Les symptômes de l’amour sont difficiles à soigner puisque la guérison dépend de la volonté du patient, qui souvent refuse les soins. L’amour, sur le long terme, peut donc provoquer des ravages. De plus, un patient sevré ressentira à vie des crises de manque et retombera dans le cercle vicieux à la première occasion venue. Le mieux est donc de ne jamais avoir à faire à l’amour. Il existe certains traitements efficaces mais coûteux qui consistent à pratiquer une cure de substitution de l’amour par autre chose : la haine, la peur, le dégoût ou le mépris. Cependant, ces médicaments peuvent également provoquer des effets secondaires, tant sur le patient que sur son entourage.
3. Expressions:
« Mourir d’amour » : cas extrême de la maladie. Le patient en phase terminale perd toute faculté de jugement et préfère s’ôter la vie plutôt que de se sevrer de l’amour.
« Amour interdit » : drogue extrêmement forte qui provoque à la fois des sensations de toute puissance et des crises de désespoir aigües.
« Premier amour » : Acte responsable de la dépendance future. On dit qu’il laisse des traces à vie et que le malade ne s’en remet jamais totalement. On le soigne en général plutôt facilement par des antidotes très faciles à se procurer sur le marché, parfois en libre-service.
« Amoureux transi » : l’amour provoque souvent des frissons, un sentiment de fièvre et de sueurs froides qui peut s’apparenter à la sensation de température polaire, et ce même sous un soleil de plomb.
« Amour de la terre » : sans doute la forme d’amour la plus incurable, puisque le malade est alors possédé totalement par un virus contracté lors d’un voyage, parfois dès la naissance. Cet amour-là est irréversible.

jeudi 26 janvier 2012

Naissance

Ça vient madame, ça vient ! Allez-y, courage, vous allez y arriver !

Je sens que ça vient, oui. Depuis le temps que cette chose grandit en moi, je la sens qui prend toute la place. Impossible pour l’esprit de s’évader. La chose m’accapare la réflexion et la raison. J’en ai mal partout tellement elle grossit. Je fatigue et je m’épuise de la savoir là et de la vouloir dehors. Crachée. Et enfin, moi, libérée. Il faut que ça sorte, parce que c’est comme tout, sinon ça va pourrir à l’intérieur, ça va se corrompre et, une fois sortie, la chose ne sera plus que l’ombre du bonheur qu’elle aurait dû être. Trop souffrir, trop attendre, ça gâche le moment, l’événement, l’instant où tout se découvre et se métamorphose.
Allez y madame, soufflez, ça vient !
Mais tais-toi donc, je n’ai pas besoin de ton aide. Dans ces moments-là – oui, parce que ce n’est pas la première fois que ça m’arrive -, je préfère être seule, comment vous dire. Je n’ai pas envie de partager, surtout pas. J’ai plutôt la sensation d’être une louve qui cacherait son petit aux yeux des autres, aux yeux du monde, pour ne pas que les regards étrangers l’abîment. Je l’ai couvée, la chose, pendant tellement longtemps. Des jours, des semaines, des mois, je ne sais plus. Quand on aime, on ne compte pas. Et je veux la couver encore un moment, jusqu’à temps qu’elle soit achevée, nettoyée, vêtue de lumière et d’amour, séparée de moi, indépendante. Alors je la présenterai au monde, à ses critiques et ses compliments qui sont parfois plus agressifs que des flèches empoisonnées. Comme elle est belle ! Elle vous ressemble ! Et je serai démasquée. Je préfère, tant que je peux, encore un peu, rester seule avec ma chose qui s’ouvre comme une fleur au printemps, face à face, en miroir avec moi-même et mes faiblesses. Ensuite, je me cacherai derrière elle comme abritée par un rempart. Parce qu’après la naissance, juste après, je serai fragile et vulnérable, la chose attirera toutes les attentions et détournera de moi les infiltrations étrangères sur mon territoire.
Bravo madame, vous y êtes presque !
Je sens la chose qui m’échappe, déjà. J’ai décidé de l’expulser, c’est le moment, il est temps. Je sens un pied, puis deux, puis trois et encore d’autres. C’est tout un poème. Tout se mélange, les émotions, les larmes parfois, les sourires entendus avec mon jardin secret, du haut de mon refuge. Je ne contrôle plus la forme de la chose, elle se dessine toute seule. Prose. Premier cri, premières notes. Je l’entends comme une chanson. Parfois, il arrive qu’à la naissance la chose ne produise pas de son, se fasse discrète. Il faut alors la lire, entre les lignes, souvent. C’est un mystère, une équation.  Je la regarde, avec tendresse, un peu critique, parce que je recherche en vain, depuis toujours, la perfection. La chose ne peut pourtant pas être moi, en entier, c'en est seulement un aspect, une expression qui me ressemble et que les autres interprèteront, comme ils voudront. Comme elle est belle ! Elle me ressemble, diront-ils. Moi aussi, je me souviens, ça leur rappellera des choses, les leurs, ou celles qu’ils croyaient posséder. Mais la chose s’est envolée, déjà. Je l’ai fait naître, en quelques mots, et elle en a fait des phrases, un texte, une chanson. La chose. La prose. Comme une naissance.

lundi 23 janvier 2012

Débats sur la langue

J'ai eu aujourd'hui une discussion fort intéressante avec mes élèves. Du haut de leurs 13 ans, certains expriment déjà des idées dignes d'un vieillard aigri et apeuré face à l'inconnu. Pourtant, ce qui est drôle, c'est qu'ils sont TOUS sans exception d'origine étrangère. Je m'explique.
En écrivant la conjugaison d'un verbe en espagnol au tableau, je m'aperçois que zut, en corrigeant les interrogations de l'autre classe sur ce même verbe, j'ai fait une bourde, leur ôtant des points pour un accent en trop alors qu'en fait, l'accent, il y était. Je dis tout haut à la classe ce que je pense tout bas. On rigole un peu, je leur dis que je vais du coup re-corriger toutes les interros, ils me disent que l'erreur est humaine. Il y a une bonne ambiance. Je leur explique alors, non parce que je tiens à me justifier quand même un peu, ils rient, que si j'ai oublié l'accent, c'est parce qu'en Amérique Latine on n'utilise pas cette personne-là de la conjugaison. Ah bon? Première nouvelle! Eh oui, "vosotros", pour dire "vous" à plusieurs personnes, en Amérique Latine on ne le dit pas. On utilise "ustedes", voilà tout. J'argumente: ben oui, c'est comme vous, quand on vous demande du subjonctif imparfait en français, comme vous ne l'utilisez jamais, vous faites des fautes. Normal. Et bien là c'est la même chose: "vosotros", je ne l'utilise jamais, du coup j'ai des doutes.
Et c'est là que s'ouvre le débat. Franchement, je me fous complètement de perdre 20 minutes de cours en bavardages. J'adore discuter avec mes élèves, ententre leurs avis, argumenter, apprendre aussi d'eux, souvent. Au diable le programme, j'écoute donc un garçon me dire que c'est n'importe quoi! Eh oui, la "vraie" langue, c'est celle d'Espagne, c'est l'origine, c'est celle que je suis censée leur apprendre. Tu sais, je réponds, au niveau nombre de population, l'Amérique Latine représente beaucoup plus de monde que l'Espagne. Et puis ce que vous entendez à la télé, dans les séries, les films, les traductions, en général c'est l'espagnol d'Amérique Latine. Non, rien à faire, il conteste. Je lui dis: c'est comme si tu disais qu'il est interdit de parler avec l'accent marseillais pour donner des cours de français. Et là, il dit que oui, parfaitement, ça devrait être comme ça. Je lui dis: waou, mais c'est un discours limite raciste ça tu sais! Dictateur peut-être madame, mais raciste non! Dans la classe, les avis sont partagés. Certains pensent comme moi, qu'une langue est vivante et qu'on doit l'étudier dans toutes ses variétés. D'autres sont d'accord avec le premier élève intervenant, une langue doit rester "pure", sinon ce n'est plus LA langue de l'origine. D'ailleurs ils se justifient en me disant que leur français parlé à eux n'est pas du VRAI français. Je leur dis mais vous déconnez! Des mots, ceux que vous prononcez tous les jours, font encore cette année leur entrée dans le dictionnaire, c'est donc que c'est reconnu comme du français! En vain...
J'en parle ensuite avec mon collègue. Lui avec son accent mexicain, moi avec mes intonations boliviennes, notre vocabulaire est bien loin du "castizo" de l'Espagne. Et pourtant... Pourtant notre vocabulaire, du Mexique à l'Argentine, comprend plus de similitudes, malgré les diversités culturelles, ethniques et géographiques, qu'avec la langue de la Péninsule. On se comprend. Et il y a d'autres choses encore, troublantes. Je vous avais déjà fait un résumé de mes aventures d'agrégée ratée, d'un oral où on m'avait mis des notes éliminatoires, de révélations gênées d'un éminent membre du jury, linguiste renommé, spécialiste de la langue espagnole: une amie péruvienne et moi avions été recalées à cause de notre accent. C'est le père de cette amie qui me raconte un jour une anecdote au sujet de ce fameux accent. Ingénieur, il se retrouve un jour invité à la Cour d'Espagne, dans le cadre d'un partenariat avec la France. La noblesse dans ses petits souliers s'étonne, admire, lui demande d'où lui vient cet espagnol si pur et si bien parlé. Il répond: ma mère est péruvienne, ma femme est péruvienne. Il n'a bizarrement pas l'impression que son accent diffère tellement de celui de ses interlocuteurs faisant pourant partie des familles les plus illustres d'Espagne. C'est très simple, me dit-il: c'est parce que l'espagnol parlé à la Cour d'Espagne... est le même qui se parle au Pérou, le même accent, les mêmes tournures, le même depuis la colonisation en quelque sorte! Alors, il me dit, cela me fait tout de même sourire de voir les raisons pour lesquelles on vous a disqualifiées de l'agrégation. S'ils savaient, les membres du jury, que l'espagnol de ma fille, péruvienne, est celui qu'on parle à la Cour d'Espagne, ils n'en reviendraient pas!
Tout cela pour dire qu'on se fait souvent de fausses idées. Mis à part la bêtise, l'ignorance et le racisme de certains, ce qui m'intéresse et me chagrine à la fois, c'est la totale fermeture d'esprit de ces gamins qui devraient au contraire avoir soif de découvrir le monde, de le dévorer, d'en ingurgiter toutes les variations, toutes les couleurs, tous les sons et tous les parfums. Je me demande à quoi cela tient. Les parents? La culture? L'inculture au contraire... La peur de l'inconnu en tout cas et la certitude, déjà à 13 ans, que les choses sont comme elles sont et qu'on ne doit les changer sous aucun prétexte. Des proies faciles donc pour les extrémismes de tous bords, les conservatismes politiques, culturels et religieux. Des esprits déjà formatés à la non découverte, au refus de l'aventure, à la négation de l'autre. Soudain, je me suis vue dans cette classe comme une souris face à des lions. Mon accent "illégitime" face à leur intolérance. J'imaginais déjà les coups de fils des parents hurlant à l'oreille de ma principale que les profs d'espagnol du collège n'étaient pas aptes à enseigner cette langue! Une envie de fuir, oui! C'est ça! Une envie de fuir comme me font fuir les gens fermés, enfermés, attrapés dans leurs certitudes, prisonniers des limites qu'ils se sont fixées eux-mêmes, incapables d'originalité, de découverte, de rencontre de l'autre, de désordre, donc de vie. Et soudain, encore une fois, je me suis sentie étrangère. Minorité. Mais qu'est-ce que j'en suis fière, de cette minorité, de cette culture, de cette identité multiple, de ces croyances qui incluent, qui rassemblent au lieu d'exclure...

samedi 21 janvier 2012

De la responsabilité des expéditions

C'est une question que je me suis souvent posée: faut-il? doit-on? a-t-on le droit de? dans quelles conditions peut-on? jusqu'où? Toutes ces questions tournant autour des expéditions se posent ce week-end dans le cadre des Rencontres Expés de La Grave-La Meije, au cours desquelles les débats vont tourner autour de la responsabilité dans le monde expéditionnaire, tant en ce qui concerne l'impact écologique, économique, que le rapport à l'humain.
Dans le monde actuel, plusieurs types d'expéditions coexistent, dont certains ne devraient plus du tout avoir droit de cité sur la planète. Exemple, je vais encore le dire, tous les ans c'est la même chose et mon discours devient récurrent et appuyé depuis que les bolides squattent la belle Amérique du Sud: le Dakar, qui n'a plus d'africain que le nom. Ne se posant la question de l'instabilité politique des pays traversés que pour sa propre sécurité, sans se soucier des peuples qui en souffraient, la caravane de CO2 a donc traversé l'Atlantique pour aller tuer au passage quelques vaches et pourquoi pas quelques enfants. Le tribut que prend tous les ans cette course de malheur. A l'époque où même les 24 heures du Mans, même la Formule 1 se posent la question de la pollution et de la possible utilisation à l'avenir de véhicules électriques, le Dakar, toujours sponsorisé par Total, grand créateur d'inégalités sociales dans le monde, pollueur professionnel, continue de ravager les paysages.
Heureusement, d'autres types d'expéditions existent, plus respectueuses de l'environnement et des hommes. Il faut dire que quand les gens prennent la peine de descendre de leur véhicule et de cheminer à pied, au rythme des populations rencontrées surtout, le contact est de suite possible. Ensuite, on peut toujours critiquer la fièvre de la performance. Traversées de désert sans assistance, ascensions de sommets himalayens en temps record. Pas le temps d'aller faire la causette au café du coin ou de faire un bout de route avec les nomades. Les autochtones regardent d'ailleurs souvent ces aventuriers là comme des extra-terrestres. Citons juste l'exemple des Andes boliviennes, où chaque sommet est sacré, protecteur d'un village ou d'une communauté. Lui grimper dessus est considéré comme sacrilège. Imaginez un peu un alpiniste sur le dos de votre grand-père, c'est un peu ça l'effet que ça donne vu de là-bas. Inutile, absurde, voir insultant et irrespectueux.
C'est sans doute pour réfléchir à ce genre de situations que des gens très intelligents, humainement, se sont rassemblés ce week end à La Grave. Fini le temps de l'expédition exploit. Aujourd'hui, il est temps de penser l'expédition en terme de logistique adaptée et raisonnée, de respect de l'environnement, de rencontre humaine et culturelle ainsi que de partage et d'apport mutuel entre les expéditionnaires et les populations locales. Des gens intelligents, je vous dis, si, si, ça existe!

mercredi 18 janvier 2012

Du domaine des murmures

Carole Martinez, Du domaine des murmures, 2011.
Après avoir lu son premier roman, Le coeur cousu, j'avais envie de rester dans son univers de la parole libérée, celle de la conteuse, de la femme porteuse de légendes, qui transmet les croyances anciennes et l'instinct, la faculté de lire dans les âmes des vivants et des morts. Alors je me suis lancée dans la lecture du fameux roman qui a reçu le Prix Goncourt des lycéens, Du domaine des murmures. Et je n'ai évidemment pas été déçue. Car même si l'histoire ne se situe pas en Espagne, pas à la même époque, le style est toujours là, l'univers de l'écrivain est intact et reconnaissable. Nous sommes au Moyen Âge, en France, peu importe le lieu, les mots nous enveloppent, nous entrainent et nous obsèdent.
"La foule des peines souterraines me tourmente. Ce qui n'a pas été dit m'enfle l'âme, flot cagulé, furoncles de silence à percer d'où s'écoulera le fleuve de pus qui me retient entre ces pierres, ce long ruban d'eau noire charriant carcasses d'émotions, cris  noyés aux ventres gonflés de nuit, mots d'amour avortés. Saignées de paroles pétrifiées dans leurs gangues.
Entre dans l'eau sombre, coule-toi dans mes contes, laisse mon verbe t'entrainer par des sentes et des goulets qu'aucun vivant n'a encore empruntés.
Je veux dire à m'en couper le souffle.
Ecoute!"
Et commence alors, après ces mots époustoufflants, l'étrange et tragique histoire d'Esclarmonde, jeune fille refusant le mariage, un mari imposé, et décidant de trouver sa liberté en s'offrant à Dieu et en s'enfermant à vie dans une chapelle sans échappatoire. Seulement Esclarmonde, dans cette tombe, fait naître un enfant. Miracle? Horreur d'une tragédie? Les pélerins affluent. A travers l'épopée de son père, ce monstre obsédé d'amour et de faute, Esclarmonde parvient, par ses visions, jusqu'en Terre Sainte. Croisade du père pour se racheter, croisade de la fille pour garder son fils. Tout tourne autour de l'interdit, de la monstruosité et de la violence du monde et des relations humaines, de l'amour infini, divin, filial. Et tout autour une société moyen-âgeuse qui se dessine, se décrit et se meut sous les yeux de la captive volontaire. Esclarmonde ou la voix d'une femme. Pas d'une sainte.
"Le monde en mon temps était poreux, pénétrable au merveilleux. Vous avez coupé les voies, réduit les fables à rien, niant ce qui vous échappait, oubliant la force des vieux récits. Vous avez étouffé la magie, le spirituel et la contemplation dans le vacarme de vos villes, et rares sont ceux qui, prenant le temps de tendre l'oreille, peuvent encore entendre le murmure des temps anciens ou le bruit du vent dans les branches. Mais n'imaginez pas que ce massacre des contes a chassé la peur! Non, vous tremblez toujours sans même savoir pourquoi."
Ecoutons donc cette voix venue des temps anciens, cette talentueuse conteuse héritière de la tradition orale, du folklore, des mythes et des légendes, nous raconter encore et encore des histoires de femmes, d'amour et de liberté. Car il ne suffit pas de courir en plein vent pour être libre.

Festival de chorales

jeudi 12 janvier 2012

Entre chiens et loups

Le débat fait rage sur les pages numériques du Dauphiné aujourd'hui. Dans la vallée de Chamonix, les chiens errants sont de plus en plus nombreux et viennent tuer les chevreuils et autres gibiers, descendus à l'abord des habitations, dans les vallées, cherchant la nourriture qu' ils ne trouvaient plus sur les pentes des montagnes après les abondantes chutes de neige de ces dernières semaines. Les chasseurs eux-mêmes, sans doute plus respectueux de la nature que dans d'autres régions, ont décidé d'arrêter de chasser et de nourrir les animaux sauvages. Conséquence, les chiens errants en question viennent attendre les chevreuils près de ces points de nourriture et pour eux, la tâche est alors simple. Poursuivre un chevreuil est d'autant plus facile qu'il s'enfonce dans la neige, pas le chien. Bref. Enfin, on reconnaît que les chiens font plus de mal que les loups... Tellement maudits, les loups, responsables de tous les mots depuis bien longtemps, associés aux sorcières, voir même pire, au diable... Et pourtant, dans le regard d'un loup on lit tellement plus d'intelligence que dans celui d'un chien, la plupart du temps plus bovin que celui d'une vache. Pour avoir croisé le regard d'un loup, je sais qu'on n'en sort jamais indemne. On s'y noie, on s'y soumet, on se remet à sa pauvre place d'humain pressé et déstructuré. Les loups, système d'organisation sociale ultra complexe, règles strictes, fonctionnement extrêmement logique dont on devrait s'inspirer, nous les hommes. Au lieu de quoi nous les méprisons. Faute de pouvoir domestiquer les loups, nous avons pris des chiens. Beaucoup. Trop. En ville, n'en parlons même pas, c'est une catastrophe. En France comme ailleurs. Car les chiens, en plus d'avoir des maîtres idiots qui les prennent pour leur compagnon ou leur enfant et leur font faire leur besoin sur les pelouses où d'autres auraient envie de s'allonger pour regarder passer les nuages, les chiens donc se sont multipliés. Ont pullulé. Et regardez par exemple en Bolivie, les cas de rage sont légion, les enfants se font mordre et meurent. A Cochabamba, dans ma chère Zona Sud, loin des gratte ciels, sortir de chez soi pour aller prendre le trufi représente toujours une aventure risquée, trois ou quatre chiens attendant toujours au bout de la rue. On est même maintenant obligés de porter les enfants, au cas où. On n'est plus chez nous. Les chiens sont entrés dans les villes. Et dans les campagnes, le problème est aussi inquiétant. Certains chiens de ferme sont tellement agressifs qu'on n'ose plus s'en approcher. En règle générale, pas de laisse, pas de colliers, les chiens sont libres, plus libres maintenant, beaucoup plus, que les loups. C'est la toute puissance canine. Mais apparemment certains ne sont pas de mon avis. Il est intéressant de lire les commentaires à l'article qu'ont posté les lecteurs à ce sujet. D'abord, on lit que non, ce ne sont pas les chiens bien élevés (parfois mieux que leurs maîtres) qui vont agresser les pauvres animaux sans défense, mais bel et bien les chiens errants venant de prétendus "bidonvilles" autour de Chamonix. Après avoir été suspectés de voler des poules, ce sont donc, je crois malheureusement le comprendre comme ça, les gitans qui sont accusés de détruire le gibier chamoniard. Parce que le mot "bidonville" ne fait sûrement pas référence aux caravanes des hollandais, enfin je pense... Ensuite, quelqu'un propose même... d'enfermer les chevreuils!! Mais oui, excellente idée! Installons notre civilisation prétenduement développée et avancée partout où l'on veut et enfermons-donc la nature sauvage entre quatre clôtures de barbelés. Ce qui nous pend au nez, avec cette bêtise là et cette ignorance impressionnante de notre qualité de pauvres animaux se croyant supérieurs aux autres espèces, c'est de n'avoir plus d'autre nature que celle qui surnage dans nos souvenirs d'enfant, ou encore celle enfermée dans des bocaux, la seule trace de ce qu'il en restera quand on en aura terminé avec la domestication de tous les territoires de notre planète.
Allez donc lire l'article et les commentaires ici:
Quant à moi, je reste dans l'illusion et le rêve de croiser un jour un loup en liberté... Mais d'ici là, peut-être que les humains auront retrouvé la raison, que la nature aura repris toute sa supériorité et que c'est le loup qui m'enfermera dans une cage...

dimanche 8 janvier 2012

Livre sur les montagnes sacrées

 

Sinaï, Athos, Thabor, Mont des Oliviers, Sion, Golgotha, Ararat, Olympe, Parnasse, Kunlun, Tai, Heng, Kailash, Bego.
Pourquoi la montagne sacrée ?
Théâtre de toutes les cosmogonies et de tous les mythes, résidence de Shiva, demeure des dieux de la Grèce sur l’Olympe, sanctuaire des pharaons, porte du monde infernal en Mésopotamie… De la France au Tibet, de l’Inde à la Syrie, des Andes à l’Egypte, la montagne sacrée est le lieu où se manifestent les divinités, l’axis mundi, le lien entre ciel, terre et enfer, la voie de tous les mystères et de toutes les promesses.
L’ascension est un signe de la vocation spirituelle de l’homme, ce qui explique la variété et la multiplicité des symboles de la montagne : ziggurat, stûpa, obélisque, pyramide, sanctuaires et temples sur les hauteurs. Autant de constructions humaines reflétant la quête de l’au-delà, le dialogue toujours recommencé avec les dieux. C’est proche de la voûte céleste que l’homme entend mieux la voix divine.
Rassemblant les meilleurs spécialistes, cet ouvrage essentiel dévoile ces hauts lieux des religions anciennes.

vendredi 6 janvier 2012

Partir pour revenir et vice versa

Vendredi 23 décembre 2011. 9h. Retour à Paris. Gris. Les fadas dans le train, les visages blêmes et dépressifs, sans expression. Les corps effacés, brouillés, enveloppés dans leurs vêtements d'hiver trop grands. Et le silence. Pas d'exubérance. Des regards réprobateurs quand un bruit dépasse, se distingue du niveau sonore étouffé. Je passe quelques coups de fil. Je me sens à nouveau moi-même. Il me fallait ce court voyage sur une terre pas si inconnue pour que je redevienne la voyageuse, la baroudeuse, l'aventurière, celle qui part, qui vit et qui revient, qui revient pour raconter, auréolée d'énergie et de soleil, de parfums d'exotisme et d'ailleurs. A peine rentrée, je pense déjà à repartir. La machine est enfin relancée. Je comprends alors que je suis moi quand je suis en partance, à l'affût, comme sur un coup. Quand l'ici et le là-bas se mélangent et s'inversent, jusqu'à ce que je ne sache plus d'où je pars ni où je suis étrangère. Reste maintenant à atterrir sans sombrer, à revenir au quotidien tout en gardant le soleil et la beauté à l'intérieur, une façon désinvolte d'affronter la vie en lui souriant de défi. Je ne sais quels seront les prochains voyages mais je suis prête. J'ai retrouvé les aéroports, les décollages et les dépaysements. Mon pays, c'est justement l'ensemble de ces paysages, de ces terres et de ces gens. France, Suisse, Italie, Espagne, Bolivie... et peut-être encore d'autres. L'argent dépensé pour ce voyage aura eu autant d'effet pour ce à quoi il a été employé que quelques séances chez le psy. Une bonne cure de désintoxication du pessimisme, une rééducation pour désapprendre l'immobilisme, se dépoussiérer des chaînes qu'on se met souvent soi-même, se sortir des sables mouvants dans lesquels on a coutume de se complaire après chaque tempête. Et dans un geste de renaissance à soi et au monde, enfin, reprendre la dynamique de l'ailleurs.




Au fil du Guadalquivir
Photos:emi

jeudi 5 janvier 2012

Séville et l'Amérique

Regards croisés, regards déviés. Europeocentrismo. C'est le terme diplomatique qu'on a coutume d'utiliser pour dire le mépris, le rejet, la négation de l'Amérique indigène et africaine par les Européens, les blancs, les colons. A Séville, je n'ai fait que le vérifier. La Tour de l'Or n'est qu'une illustration, un témoignage architectural de ce que furent les relations entre les colonies et la métropole espagnole pendant des siècles. Elle qui a reçu les fruits du pillage systématique des richesses par les conquistadors, exploitation organisée et planifiée des ressources et des hommes, esclavage. Potosi, mines d'argent, 8 millions de morts dans la bataille, quand même. Tout cela pour remplir les caisses, jusqu'à les faire vomir, des banques des Flandres. Tout cela pour orner, faire briller, les églises, les cathérales, la moindre chapelle posée sur le territoire espagnol.



Même chose sur le continent américain. Je me souviendrai toujours de la réaction d'une viejita bolivienne, indienne, la première fois qu'elle s'est assise sur les bancs de l'église baroque de Copacabana, au bord du Lac Titicaca. "Tous ces morts, pour faire ça..." "ça", c'était l'autel plaqué d'argent, le retable couvert d'or, métaux que ses propres ancêtres s'étaient acharnés, souvent jusqu'à la mort, à arracher du ventre de la terre nourricière. Viol.

L'Espagne, loin d'en avoir honte, expose encore aujourd'hui tous ces trésors dans ses édifices religieux. Même si pour cela elle persiste à fermer les yeux sur l'esclavage et le commerce triangulaire. Parce que quand les indiens étaient tous décimés par la folle cupidité, les africains avaient pris le relais. A chaque problème, une solution. Je suis allée visiter le bâtiment de l'Archivo de Indias, là où sont justement (encore) conservés tous les documents relatifs à ce fameux commerce entre l'Espagne et ses colonies. Le discours est éloquent. Ce n'est pas faux, ces documents retracent en grande partie l'histoire de cette époque et d'une partie du monde. Mais ne garder que ce point de vue, que cette lecture "documentaire", c'est nier tout une autre version des choses et de l'Histoire. Car à Séville, la colonisation espagnole devient "présence de l'Espagne sur les territoires américains". Simple présence. Développement du commerce et des colonies, apparemment que des bénéfices pour les pauvres indigènes (qui pourtant n'avaient rien demandé à personne). L'Espagne posée en civilisatrice, en missionnaire du développement du Monde. Des massacres, des abus, de l'injustice, de l'occupation, de la guerre, du racisme, rien n'est dit. D'ailleurs, les statuettes totalement désuètes et stéréotypées représentant des soi-disant indigènes sont les seuls témoins de la supposée culture des colonisés. Des grandes civilisations écrasées et décimées, des temples pillés, des conversions forcées, pas un mot. Juste la glorification de l'Espagne. Cela fait franchement froid dans le dos, et en descendant le grand escalier de bois de l'Archivo de Indias, j'avoue qu'une subite envie de vomir m'a prise, en repensant à ma viejita bolivienne dans son église de Copacabana. Comme le disait Nathan Wachtel, il y a la vision des vainqueurs et celle des vaincus. A Séville, la première écrabouille complètement la deuxième. Vieux monde figé à une époque pourtant tellement révolue. Depuis, Evo Morales est au pouvoir les mecs, réveillez-vous, vous n'êtes plus maîtres de rien.

mercredi 4 janvier 2012

Séville, ghettos, marges et frontières

Pensez-vous, je n'allais tout de même pas vous laisser dans le doute, sans répondre à cette question qui vous taraude depuis le début du récit de mes aventures sévillanes: mais où sont les gitans? Hé bien voici une tentative de réponse. Nous sommes ici dans un cas totalement différent de celui de Grenade où le quartier gitan se situe sur les hauteurs de la ville, pas très loin du centre, au Sacromonte. On peut y accéder à pied sans problèmes (même s'il faut dire que ça grimpe quand même sévèrement) et rejoindre les ruelles blanches et les maisons troglodytiques entourées par les anciennes murailles arabes. On peut aussi suivre les processions religieuses gitanes, à leur suite, entendre leurs voix rauques qui chantent. Proximité, tolérance, mélange, il en est de même à Grenade pour ce qui est du passé musulman (il faut dire que l'Alhambra est juste inévitable). Dire que le panorama est idyllique serait un énorme mensonge, certains étant encore persuadés, et je ne répète pas ici les propos d'un habitant lambda mais ceux d'un chercheur universitaire et artiste, somme toute un homme intelligent, persuadés donc que les marocains vendant de l'artisanat dans les rues qui descendent de l'Alhambra ne sont qu'une "seconde invasion". Passons sur la profonde et indémerdable connerie humaine. Mais il est vrai qu'à Séville, la chose est complètement différente. Peut-être parce que la ville est plus grande, mais je ne lui cherche aucune excuse.
Comme tout bon guide touristique qui se respecte, le mien me conseillait d'aller faire un tour dans le quartier populaire de Triana, pensant sans doute m'emmener chez les gitans. En plein midi, soleil au zénith, pas de flamenco, pas de chat noir, pas de visage tanné, pas de liseuses de lignes de la main. Rien. Nada. Que des rues désertes, loin de l'animation qui règne de l'autre côté du Guadalquivir. Parce que tout de même, le fleuve représente une frontière. Entre Séville la fastueuse et Séville la populaire, la touristique et la tranquille. Triana, presque une autre ville. Jolies ruelles, rue Bétis la fameuse, qui longe le Guadalquivir, Oued el Kebir, le grand fleuve. Mais pas de gitans.


Je ne vais pas vous mentir plus longtemps et je vais de suite casser le mythe, puisque les gitans sont à la périphérie, dans des entassements de bétons qui m'ont forcément rappelé nos cités, nos ghettos créés de nos mains pour y parquer les indisérables. Chez nous les africains, arabes, tout ce qui n'était pas blanc; chez eux, les gitans. Et comme chez nous, dans certaines cités, la Police n'entre pas. Drogue, règlements de compte, mafia... En tout cas c'est ce qu'on en dit. J'y retournerai pour aller vérifier de mes propres yeux la suprême dangerosité de ces fameux gitans. A mon avis, il y aurait comme de la discrimination, du racisme, que sais-je, du mépris?, que ça ne m'étonnerait pas.
Le seul problème étant qu'on ne se débarrasse pas des encombrants aussi facilement, et que parfois l'histoire des indésirables reste imprégnée dans la ville, imbriquée à celle de la cité elle-même. C'est le cas de l'ancien ghetto juif, le quartier de Santa Cruz. Là encore, le guide disait de s'y perdre, ce fut chose aisée étant donné que certaines rues sont si étroites qu'elles ne figurent même pas sur tous les plans. Et à force de tourner, de me perdre, de rebrousser chemin dans les impasses, d'user mes semelles dans ce labirynthe, tout m'est apparu. Le ghetto, les voix qui s'interpellent en ladino de balcon en balcon, tellement serrés, les balcons, que tous les secrets pouvaient y être murmurés directement d'oreille à oreille; les chants d'amour et de mélancolie; la persécution, la peur et la diaspora qui s'annonçait; la fin de la belle époque de la tolérance. Santa Cruz, ironie du nom pour ce quartier abritant des convertis de force, est toujours écrasé par l'énorme cathédrale, caché derrière l'Alcazar. Même si l'endroit est aujourd'hui très touristique, pittoresque, comme on dit, les inscriptions sur les murs, le nom des rues, sont là. Juderia. Et la voix de Yasmin Levy.



mardi 3 janvier 2012

El Cordobés

Dominique Lapierre et Larry Collins, ...ou tu porteras mon deuil, 1977.
J'ai envie de dire, cela tombe très très bien, puisque je viens de vous parler, justement, du musée taurin des arènes de Séville. Chose promise, chose due, je vous fait donc un petit laïus sur ce fameux bouquin qui retrace la vie du Cordobés. Attention, je ne vais pas du tout vous vanter les mérites de la corrida, loin de moi cette idée. Mais quand même, cette vie là mérite qu'on s'y arrête, parce qu'elle n'a vraiment rien d'ordinaire. Tout commence dans l'Andalousie des années 30. La courte République bat de l'aile, Franco commence à déployer ses ailes noires sur l'Espagne. Guerre civile. Le père de Manuel "El Cordobés" meurt dans une prison de Cordoue. La dictature s'installe. La mère de Manuel, épuisée au travail pour un salaire presque nul, meurt d'épuisement à seulement 37 ans. Commence alors pour la fratrie une vie de pauvreté extrême, de peur, de famine. Et puis un jour, le cinema ambulant, les aventures d'un voyou devenu torero idole des foules, la révélation: Manuel décide d'être matador. Avec un ami, il passe dès lors ses nuits à courir la campagne pour aller défier les toros bravos dans leurs pâturages, courant le risque de se faire tuer, par un animal ou par la Guardia Civil. Blessures multiples de cornes, emprisonnements, famine, Manuel ne recule pourtant devant rien. Expulsé de sa ville natale comme un vulgaire voyou, il parcourt alors, à pieds, les routes de l'Espagne, tente sa chance dans toutes les foires, travaille comme maçon, dort dans les cimetières, se nourrit d'oranges volées. Et puis, des hommes providentiels le remarquent. Je passe sur les détails, sa vie est un véritable calvaire aux multiples déceptions pour atteindre son but. Cette vie là est vraiment incroyable. Toujours est-il que lui, l'analphabète, le pouilleux, le crasseux, le voyou, finit par atteindre son rêve et devenir à son tour l'idole des foules. Il y a du Lazarillo dans ce personnage, du picaresque. Rien d'académique. Et en même temps une volonté à toute épreuves, un certain cynisme, une assurance. De peur, jamais. Edifiant.

lundi 2 janvier 2012

Corrida, flamenco et autres fanatismes

L'Andalousie, et Séville plus que Cordoue ou Grenade, c'est l'exubérance, l'extrême, l'exagération, le fanatisme. Je l'ai déjà dit, ce qui frappe, c'est que rien n'est fait à moitié, rien n'est dit à demi-mots. Même le climat y va de ses outrances: 47 degrés de moyenne en été, il y a de quoi faire fuir le touriste. Et il n'y a pas que cela. Séville est comme ça. Entière. On l'adore ou on la déteste. J'ai fait un peu des deux, je crois. Je l'ai adorée parce qu'elle est colorée, saturée de couleurs même, piquante, enlevée, envoûtante, dévorante. Je l'ai détestée pour les mêmes raisons, plus ou moins. Trop vive, trop fatigante, canibale. Du sang et des larmes, on se croirait dans un livre de Garcia Lorca. Et pourtant c'est bien ça.
Reparlons religion. Je sais que ça vous fâche. Mais il faut quand même dire que lorsqu'on se rend à Séville, il faut savoir qu'il est des villes catholiques comme il est des pays musulmans. Religion officielle. Ecoles confessionnelles, uniformes, églises à tous les coins de rues, encens sur les places et prières dans les hauts parleurs, messes à tout bout de champ, crèches en veux tu en voilà, étendards annonçant la naissance du Christ à toutes les fenêtres. De quoi se sentir quand même un peu mal à l'aise si on n'est pas catholique. On sent bien que le passé musulman et juif a depuis longtemps été mis au rang des affaires classées. Séville, sois belle et tais-toi...


Autre fanatisme. La corrida. Je ne suis pas aficionada du spectacle, je n'y connais d'ailleurs pas grand chose; pas une fervente opposante non plus. Je suis donc allée visiter la Maestranza, la Plaza de Toros, par curiosité, intriguée par la ferveur populaire que déclenche le spectacle (je suis d'ailleurs en train de lire un livre sur le sujet, je vous en reparlerai). Visite commentée. Passionnante. D'abord, les arènes de Séville sont grandioses. Pensez-vous, 26000 places. Et puis le musée raconte toute l'histoire de la corrida, depuis les origines jusqu'à aujourd'hui en passant par tous les détails techniques, les évolutions de l'habit de lumière et quelques exentricités. Par exemple, on peut voir dans une pièce du musée la tête empaillée d'une vache, pas n'importe laquelle. Je ne résiste pas à vous raconter l'histoire.
1947. Manolete, célèbre torero, idole des foules, meurt sous les cornes d'un toro bravo. Le propriétaire de l'animal, ami de Manolete, est très affecté par ce décès. Pour briser la lignée du taureau assassin, il décide de tuer la mère de celui-ci (le mâle donne en effet la force physique, mais c'est bel et bien la femelle qui donne les caractéristiques "techniques" et d'intelligence au taureau). Voilà donc pourquoi on retrouve empaillée au musée taurin de Séville la tête de cette vaca brava... Sortant de cette extraordinaire visite, je ne prends toujours pas partie, mais espère secrètement quand même avoir l'opportunité un jour d'assister à une corrida. Parce que ça doit quand même être quelque chose. Si l'Andalousie devait être associer à un spectacle, un art, une boucherie, comme vous voudrez, cela ne pouvait être que celui-là.




Et comme l'âme sévillane m'intriguait décidément, je suis allée faire un tour du côté du musée du flamenco. Clin d'oeil à mon adolescence, quand j'écoutais à tue-tête un vieux disque de Camaron de la Isla. C'est le musée le plus cher du séjour (10 euros, quand même...), mais artistiquement, c'est un bijou, une plongée théâtrale dans les coulisses de ce qui est, cette fois considéré de manière unanime, un art. Toute la visite est mise en scène, dans une obscurité quasi totale, où on découvre d'abord les origines de la danse, puis ses différentes techniques et traditions. Ecran géant sur les danseurs de bulerias. On s'asseoit. Epoustouflant. Pièce suivante, toujours le noir, cette fois des voix, des voix qui racontent l'histoire et la légende, des voix qui chantent. Puis on se laisse volontiers enfermer dans une autre pièce, cernés par le chant et les gestes, les regards et le zapateado d'une troupe de danseurs. Jusqu'à la claustrophobie, jusqu'à l'obsession et l'overdose. Mise en scène encore de loges d'artistes, miroirs et spots éclairant les costumes, les chapeaux et un couteau posé là, ouvert, servira-t-il?
Exubérances donc, outrances, fanatismes. Séville nous bouscule et nous choque. Pour ma part, ses provocations ont le don de me plaire.

dimanche 1 janvier 2012

El Alcazar y la Giralda

Après l'Alhambra, "la rouge" Grenade, je pensais avoir tout vu de la beauté architecturale arabo andalouse, avoir atteint la perfection. Eh bien non. Le palais de l'Alcazar de Séville, au style mauresque, est lui-aussi éblouissant de dentelles sculptées, de fontaines, de plafonds étoilés taillés dans le bois. Les couleurs, bleu, blanc, vert, ressemblent à celles de la mosquée de Paris. Et que dire des jardins? Un délice de citronniers et d'orangers, de gigantesques palmiers découpés dans le ciel bleu. A plusieurs reprises, je m'assieds le nez au soleil chaud d'hiver et oublie tout. Profiter. Ne plus bouger. Laisser la chaleur de l'astre m'envahir. Emmaganiser. Une folle envie de se laisser enfermer dans les jardins du Paradis tandis que les derniers touristes franchissent les grandes portes pour sortir. L'Eden, la nuit. Car elle est trop courte, cette escale dans le silence et le chant des oiseaux.



L'atroupement devant la cathédrale, 1/2 heure avant l'ouverture, en disait long sur la foule que j'allais devoir affronter. Enfin, cela valait le coup. Je n'aurais pas pu dormir tranquille sans avoir vu ça avant de rentrer à Paris. Mais que d'or, que d'argent, de trésors, de luxe, de métaux précieux venus d'Amérique. Ostentation, gâchis. Provocation? Péché! Le patio de los Naranjos permet de respirer un peu après tant de monde et de densité décorative, d'outrance religieuse. (Même si il ne vaut pas la plaza de Las Banderas qui se trouve derrière l'Alcazar, elle aussi semée d'orangers).
Deuxième temps. Je grimpe enfin dans la Giralda, l'ancien minaret. Sacrée ascension! Tour à tour, j'aperçois par les énormes ouvertures, les toits de Séville, des détails de la cathédrale, flèches de la plus grande construction gothique du monde. Là-haut, c'est la foule, mais c'est l'extase. Le Guadalquivir, l'Alcazar, les places, les milliers de terrasses parfois garnies de piscines, les fleurs, le ciel, l'horizon. Je tourne et retourne jusqu'à en avoir le tournis. C'est le clou du spectacle, le point culminant du séjour dans tous les sens du terme. Là où le passé musulman se mêle au catholicisme. Mariage de haine. Séville la belle.



Photos:emi