vendredi 30 septembre 2011

Empanada sur aguayo

Comme vous l'avez remarqué, je n'ai rien à dire en ce moment, et comme à mon habitude, quand je n'ai rien à dire, je me tais (contrairement à d'autres, mais ça, c'est une autre histoire). Je pourrais vous parler du temps qu'il fait (fait beau chez vous?), de mes élèves (en même temps, est-ce qu'en ce moment un film d'épouvante vous fait vraiment envie?), de ceux qui doublent à droite sur l'autoroute en empruntant la bande d'arrêt d'urgence à 90 à l'heure alors que tout le monde est en mode escargot, de ma vie (mais ça, c'est le thème d'autres blogs, pas de celui-ci), du livre que je suis en train de lire (sur lequel j'aurai plein de choses à vous raconter quand je l'aurai terminé, Los Jairas, sujet inépuisable), etc, etc... Mais étant donné que j'ai encore un peu de savoir vivre et de respect pour vous, je ne vais pas vous faire perdre votre précieux temps à lire ce genre de fadaises (non, pas Fa dièse). Je vous proposerai donc aujourd'hui simplement une nature morte réalisée par mes soins et que j'ai modestement intitulée:
"Empanada Royale sur Aguayo millénaire"
et dont le sous-titre est:
"bout de fromage roulé dans de la pâte posé sur un tissu poussiéreux"
En attendant d'avoir à vous proposer d'autres créations un peu plus palpitantes...
Voici:

samedi 24 septembre 2011

Les cols des Alpes

Samivel, Les grands passages des Alpes.
C'est en fouillant dans la petite bibliothèque de mon village que je suis tombée sur ce livre. L'auteur, évidemment, et le titre m'ont inspirée, je l'ai lu. Outre quelques photos vieillies mais qui laissent quand même reconnaître les lieux, l'ouvrage de Samivel contient aussi des gravures anciennes représentant les passages, souvent périlleux dans les temps anciens, que sont les cols des Alpes. L'auteur a choisi de nous parler des principales portes naturelles entre la France, la Suisse et l'Italie et qui ont derrière elles une longue histoire de point de communication entre un pays et un autre. Du col de Tende au Simplon en passant par le Mont Cenis, le Grand et le Petit Saint Bernard, Samivel retrace l'Histoire des cols alpins, souvent lieux de passage connus dès l'Antiquité, bien que parfois les preuves en soient assez rares. Ensuite, à travers le temps, ce sont souvent des armées entières qui s'y sont succédées, tantôt d'un côté, tantôt d'un autre, laissant des traces de violences hors du commun dans les écrits et les esprits de la région. Une parenthèse est faite pour nous parler d'Hannibal et des différentes hypothèses sur l'endroit de son passage, les habitants et autres "spécialistes" attachés à tel ou tel col le revendiquant comme l'authentique lieu de passage d'Hannibal, sans que jamais la vérité ne puisse être découverte puisqu'aucune trace n'a jusqu'à aujourd'hui été trouvée nulle part, ni des hommes, ni des fameux éléphants. Puis vint Napoléon, le célèbre Bonaparte qui, dans sa soif d'expansion, a tenté d'exploiter jusqu'au bout de le relief, cherchant à le moderniser et à faciliter ainsi le passage vers des terres à conquérir. Son leitmotiv: "est-ce que le canon passe?". Si le chemin était encore trop impraticable à son terrible engin de guerre, Bonaparte a donc entrepris d'en faire améliorer l'état, de l'élargir, d'en faire une route. Plus tard, des aventuriers, un peu inconscients compte tenu de leur équipement sommaire, se lancent à l'assaut des cols, accompagnés par les marrons, les ancêtres des guides. Et puis vient la grande déferlante des sports d'hiver qui modifient le panorama et viennent à jamais révolutionner l'histoire des cols des Alpes. Comme toujours, la langue de Samivel est un régal et on regrette même qu'il ne se soit pas attaqué à d'autres cols que ceux dont l'historique est contenu dans cet ouvrage. Au delà des sommets, Samivel nous parle aussi des hommes. On peut lire par exemple un excellent passage, que j'ai lu avec une attention redoublée puisque l'endroit m'est familier. Il s'agit de l'histoire de Pierre Chanoux, sorte d'hommage à l'abbé qui pendant cinquante ans resta fidèle au poste à l'Hospice du Petit Saint Bernard. Comme dit Samivel, il était "the right man in the right place". Seul, "avec ses chiens, ses livres, les silences étincelants de la montagne", il accueille les pélerins, les randonneurs égarés, même les mendiants. Amoureux de sa montagne, de son col auxquels il dédie toute sa vie, le personnage ne manque pas de modernité et d'originalité.
"On connait de cet écologiste avant la lettre des traits éloquents, comme de proscrire la chasse aux environs de l'hospice, placer au printemps quelques brassées de foin à l'orée du trou des marmottes, lorsque celles-ci émergent, le ventre vide, des longues torpeurs de l'hiver; porter à toutes les formes de vie, même et surtout les plus humbles, les plus fragiles, une attentive sollicitude. Après avoir cédé d'abord à l'impulsion primitive consistant à cueillir les fleurs "parce qu'on les aime", il s'évertua à les sauver des cueillettes destructrices. Il fit mieux, et sa grande affaire fut de créer de toutes pièces un jardin où se trouveraient protégées la flore alpestre et celle d'autres régions montagneuses du globe. Avec l'aide de quelques spécialistes, l'entreprise réussit brillamment puisque à sa mort, cette "Chanousia", comme on l'a baptisée, contenait déjà 2000 espèces. C'était en 1909."
L'hombre de ce personnage plane encore au-dessus du Petit Saint Bernard où il règne une atmosphère spéciale, un peu austère, mélancolique, étrangement attirante.
(le jeu consiste à compter le nombre de fois où j'ai écrit le mot "passage" dans cet article!...désolée, lecteur, la fatigue, parfois...)
(Photo VBerger, à retrouver ici: http://www.podcastjournal.net/L-IMAGE-DU-JOUR-Col-du-Petit-Saint-Bernard_a6235.html )

vendredi 23 septembre 2011

Victor Montoya "La Chinasupay"

La Chinasupay

Tous les jours lorsque l’aube paraissait, le mineur racontait ses rêves et ses cauchemars. Mais cette fois-là, il se réveilla avec l’esprit à l’envers et se leva en silence, comme si pendant son sommeil il avait avalé sa langue. Il enfila sa salopette rongée par la copagira et ajusta ses bottes en caoutchouc sur ses grosses chaussettes en laine. Il se leva en faisant tinter la boucle de son ceinturon, enfonça son casque jusqu’aux sourcils, prit son sac de Calcutta et avança en direction de la porte.
Sa femme, encore allongée au lit, le suivit du regard; mais en le voyant ouvrir la porte, elle l’arrêta de la voix :
-Tu pars déjà?
Le mineur se retourna et resta immobile tout en la regardant.
-Tu ne m’as pas raconté tes rêves et tu n’as pas dit au revoir aux enfants, lui dit-elle, sans élever la voix ni baisser les yeux.
-J’ai rêvé de quelque chose d’horrible, si horrible que je préfère me taire.
-Comment?, dit-elle. Tu ne me confies plus tes rêves ?
Le mineur ne répondit ni oui  ni non. Ensuite il s’avança vers elle, s’assit au bord du lit et dit :
-Je vais te raconter, mais à condition que tu ne me demandes rien.
Sa femme continua à le regarder, dans l’expectative, en silence. Le mineur enfouit la tête entre ses mains et, comme s’il venait juste d’arriver de l’autre côté de la vie, il commença son récit :
-Dans mon rêve m’est apparue la Chinasupay. Elle était debout près du lit, entre la petite table et le chevet; elle avait des cornes et une queue, des cheveux de serpents et les yeux rouges comme l’achiote. Elle était enveloppée dans un châle et tenait un couteau à la main…
Sa femme, absorbée par le récit, eut la sensation que son cœur se retournait et que ses cheveux se dressaient. C’était la première fois que la Chinasupay apparaissait dans les rêves de son mari.
-… Je la regardai, effrayé. Elle me montra ses dents et les scorpions sur sa langue. Je tentai de bouger et de crier, mais ce fut impossible. J’étais plus passif et plus muet qu’une pierre, continua le mineur. La Chinasupay ouvrit son châle et me montra des seins grands comme des tutumas de chicha, tandis que par le bas elle répandait des crapauds et des vers. Ensuite elle leva le couteau, elle me le planta dans la poitrine et me découpa en morceaux. J’avais la tête intacte et j’étais toujours en vie. J’entendais ma respiration et je voyais comment mon cœur battait par terre, arraché de ma poitrine, et comment les morceaux de mon corps bougeaient telle la queue cassée d’un lézard…
Sa femme, tendue comme une corde, se blottit contre ses enfants qui dormaient à côté d’elle, sans savoir comment interpréter le symbolisme de ce rêve macabre.
-… A la fin, conclut le mineur, la Chinasupay disparut dans un sifflement de fumée et de feu. Je rassemblai les morceaux de mon corps et m’échappai du rêve, comme par un tunnel long et obscur…
Sa femme lança un profond soupir et tenta de relâcher la tension de ses nerfs.
-Il est l’heure que tu ailles à la mine, lui dit-elle en regardant les aiguilles de la pendule qui indiquaient cinq heures et quart.
Le mineur embrassa ses enfants, le leva du lit et sortit de la maison, sans dire au revoir à sa femme ni au chat qui ronronnait sous les couvertures et les jupes.
Glossaire :
ACHIOTE : m. Arbuste aux fleurs rouges dont les graines, après macération, produisent une substance rouge utilisée comme teinture.
CALCUTTA: f. Sac résistant importé de Calcutta (Inde). Il sert à envelopper le minerai.
CHICHA : f. Boisson alcoolisée faite à partir de maïs fermenté.
CHINASUPAY: f. Diablesse. Déesse et épouse du Tio.
COPAGIRA: f. Eau mêlée à des résidus de roche, de couleur jaune ou grisâtre, résultant du processus de lavage du minerai.

lundi 19 septembre 2011

Publication de l'interview à Victor Montoya

Il y a des jours où on est heureux de récolter un peu de ce qu'on a longtemps semé...
Je vous le fais partager. J'avoue, j'en suis plutôt fière!
Entrevista a Victor Montoya dans LOS TIEMPOS de Cochabamba!

dimanche 18 septembre 2011

Contes de la mine: la fin et le début

Voilà, cher lecteur. Depuis plus ou moins un an tu as pu lire avec passion, interrogation, intérêt, parfois effroi, les Contes de la Mine de l'auteur bolivien Victor Montoya, contes traduits en français par mes soins.
"El ultimo pijcheo" en était la dernière publication sur ce blog.
Mais l'aventure ne s'arrête pas là. Au contraire, elle ne fait que commencer...
L'étape suivant consiste à trouver un éditeur pour ce superbe texte, entre tradition minière, histoire, culture et fantastique. Mais je suis sure que, comme d'habitude, la chance sera de notre côté!
Je vous remercie pour vos commentaires, vos mails et vos nombreuses visites sur ces traductions (je vois tout!...). Le travail a été long, ardu, passionnant, parfois éprouvant (le Tio, parfois, nous joue des tours...), mais j'ai finalement vu le bout, non du tunnel, mais de la galerie!
Je remercie tout particulièrement el Señor Victor Montoya qui m'a mis son texte entre les mains avec une confiance absolue et qui n'a cessé d'être présent et attentif à mon travail.
Victor, es una gran, una maravillosa suerte trabajar contigo.
Je remercie aussi chaleureusement (on dirait la remise des Césars!) mes deux relecteurs qui se sont lancés généreusement dans le projet, sans jamais se plaindre de la complexité de la tâche ou des exagérations du Tio (et pourtant, il y avait de quoi!)
Cécile, Bruno, le Tio et la Virgen del Socavon vous protègent.
A bientôt pour l'aventure "papier" des Contes de la Mine, en espérant t'y retrouver, cher lecteur...

samedi 17 septembre 2011

CUENTOS DE LA MINA

Le dernier pijcheo
Le mineur, après être passé plié en deux sous les voûtes de la faille, avoir sauté par-dessus de profondes cavités et évité les saillies de la roche, arriva dans la galerie du Tio, l’image diabolique de l’esprit protecteur de la mine. Il s’assit sur un callapo, témoin muet des souffrances et des légendes que renferment les mines de la montagne, et sortit sa ch’uspa de coca pour faire un dernier pijcheo.
Le Tio, habitué à vivre dans des galeries humides et des passages obscurs, avec des températures froides ou bien suffocantes, le regarda en silence mais attentif à ce qu’il faisait. Le mineur, conscient qu’il ne pouvait pas commencer le pijcheo sans faire auparavant une offrande au souverain des ténèbres, jeta une poignée de feuilles de coca au pied de son trône, fit la ch’alla dans la galerie et alluma deux cigarettes avec la même allumette ; une pour lui et une autre pour l’offrir au Tio, qui ne consommait pas des feuilles de coca pour atténuer les effets de l’altitude et de la rareté de l’air dans la galerie, mais pour accompagner les mineurs qui avaient besoin de lui confier leurs peines et leurs joies.
Le mineur aspira la fumée de sa cigarette et toussa comme si ses poumons se déchiraient, avala une gorgée d’eau de vie qui lui adoucit la bouche, de même que la boule de coca qu’il conservait entre ses molaires et sa joue. Il ne pensa à rien. Il resta tranquille et silencieux, jusqu’à ce que soudain, sans même chercher à comprendre ce qui se passait, il vit que le Tio s’était illuminé comme une lampe qui s’allume. Alors, alors seulement, atterré par l’image du diable qui le regardait en souriant, il se leva d’un bond et s’apprêta à sortir de la galerie ; mais le Tio l’attrapa avec ses griffes et, d’une voix qui semblait sortir du fond de la montagne, lui dit :
-Reste! N’aie pas peur…
Le mineur qui, l’espace d’un instant, sembla avoir perdu son âme, se rassit sur le callapo, les nerfs tendus et les poils dressés.
-Calme-toi, lui dit-il. Je sais que c’est la dernière fois que tu viens faire un pijcheo dans ma galerie.
Le mineur resta à le regarder de haut en bas. C’était la première fois que le Tio bougeait et parlait de manière humaine.
-Ce qui me fait mal c’est que je suis le dernier des derniers mineurs qui sont restés dans le campement, où les toits de tôle, pendant les nuits de froid et de vent, ressemblent à des fantômes qui clameraient leur douleur, expliqua le mineur, tentant de soulager les peines de son cœur. Maintenant je comprends mieux que ce qui un jour a un commencement, un autre jour est condamné à avoir une fin…, une fin qui est sûrement déjà écrite dans les feuilles de coca, parce que tout ce que la Pachamama nous donne un jour, un autre jour le destin nous l’enlève…
Le Tio cracha une bouffée de fumée, se réinstalla sur son trône construit dans les rochers de la galerie. Il porta ses mains à sa nuque et, en le regardant comme s’il l’avalait avec ses yeux, il demanda :
-Et maintenant qu’ils ont fermé les mines, à quoi t’ont servi tes prières à Dieu et à la Vierge de la Mine ?
Le mineur, dont la physionomie était différente de celle des indigènes de l’intérieur des terres, resta silencieux et pensif ; il avait de la barbe, les yeux clairs et la peau endurcie par les âpretés de l’altiplano. Il cracha une salive verdâtre près de ses bottes de pluie, se redressa, leva les yeux, montra des dents tachées par les feuilles de coca et répondit :
-Toutes mes prières n’ont pas été écoutées et tous mes désirs ne se sont pas réalisés. Mes rêves se sont transformés en cauchemars et ma vie est condamnée à se terminer parmi ceux qui ont laissé leurs poumons dans les entrailles de la terre…
Le Tio l’écouta attentivement, les yeux flamboyants et les oreilles en pointe, comme quelqu’un qui tente d’interpréter les paroles du vent, jusqu’au moment où le mineur, qui semblait avoir terminé son pijcheo, voulut se lever du callapo. Alors le Tio se leva de son trône, l’aborda dans le dos et lui dit d’un ton suppliant :
-Ne m’abandonne pas. Si je suis entré avec toi dans la mine, je veux m’en aller avec toi. Je suis ton œuvre et je fais partie de ta vie.
-Ce n’est pas vrai, nia le mineur, affrontant le Tio face à face. Je ne t’ai pas fait selon mon idée et mon image. Toi qui a été battu par l’archange Saint Michel et condamné à errer dans les flammes de l’enfer, tu es arrivé dans les mines une nuit de tempête, accompagné par Juan del Valle, le prospecteur de la Couronne espagnole qui voulait trouver les mêmes filons d’argent que ceux que d’autres exploitaient à pleines mains dans le Cerro Rico de Potosi. Trois cents ans plus tard, toi, abandonné à ton sort par le conquistador, tu t’es transformé en Tio de la mine et des mineurs…
-Ce n’est pas vrai non plus, répliqua le Tio, en mâchant des feuilles de coca et en faisant crépiter la braise de sa cigarette dans la bouche. Je ne suis pas un diable apporté par les caravelles des conquistadors, mais la divinité sacrée et mythologique des urus, chez qui je protégeais les animaux sauvages depuis l’aube du Monde, jusqu’à ce qu’un certain jour, en me rendant compte que les hommes me tournaient le dos pour adorer un autre dieu plus lumineux et puissant, je choisis de me venger de leur trahison en accumulant le feu volcanique des montagnes. Dans les entrailles desquelles retentirent des voix plus fortes que le tonnerre.  Je m’armai de courage et d’un seul souffle, je formai des ouragans de feu et de fumée dans le ciel. Mais le dieu Inti, qui était plus lumineux que tous les feux réunis, résista à mon attaque, nettoya les fumées asphyxiantes de sa lumière et se remit à éclairer le ciel et la terre des urus, leur rendant l’amour et le calme. Mais comme je suis un être vengeur, que je ne supporte ni la trahison ni l’oubli, je décidai de punir de la manière la plus cruelle les descendants des hommes que j’avais modelés dans l’argile au bord du lac Uru Uru. Ainsi, rempli de colère et prêt à venger mon honneur blessé, j’envoyai un énorme serpent sur les montagnes de la zone Sud; sur les monts de Kala Kala, un lézard aux proportions de dragon ; sur les plaines de l’Est, des millions de fourmis voraces ; et sur la région du Nord, un crapaud gigantesque et terrible. C’était les quatre plaies, comme les cavaliers de l’Apocalypse, prêts à accomplir un holocauste dont personne ne se sauverait. C’est alors qu’apparut la ñusta Anti Wara, enflammée comme une fleur de feu et de nacre, sans expliquer d’où elle venait ni quelles étaient ses intentions ; elle avait un diadème d’arc en ciel sur la tête, et à la main une épée comme symbole de justice ; elle était blanche et svelte ; elle avait les cheveux tressés et la tunique  attachée par une auréole lumineuse qui dégageait des rayons sous la lumière de la lune. Son pouvoir était si grand et si terrible que, en lançant des éclairs mortels avec son épée, elle transforma les animaux féroces en pierres et les fourmis en sable ; le serpent, qui rampait sur les monts qui s’étendaient autour de Vinto et de Chiripujio, elle le fendit d’un seul coup, confondant son corps avec les cimes et les collines ; au lézard, qui avançait en fouettant l’air avec sa queue de saurien et en dévorant avidement les semences et le bétail, elle arracha la tête du corps et avec son sang forma la lagune de Kala Kala, qui encore aujourd’hui, à une certaine heure du soir, devient rougeâtre sous les yeux étonnés des habitants ; elle tua le crapaud au corps ventru et visqueux, qui sautait en emportant tout sur son passage, avec une fronde dont elle envoya la pierre se planter dans son cou comme le fer d’une lance ; les fourmis, qui semblaient grouiller dans une fourmilière près du fleuve Tagarete, elle les transforma en sable et les répandit sur la plaine comme des dunes amassées par les courants du vent…
-En fait, les quatre plaies furent vaincues par les pouvoirs divins de la ñusta Anti Wara ?, demanda le mineur, émerveillé par le récit fantastique du Tio.
-C’est ainsi qhoya loco, répondit-il avec un soupir que lui pénétra dans l’âme. Une fois mes alliés tués, je n’eus pas d’autre solution que de me cacher dans les entrailles de la montagne, pour éviter que l’épée flamboyante de la ñusta Anti Wara ne me fulmine le corps. Depuis, comme un monstre rejeté par la lumière solaire, j’habite les entrailles de la cordillère andine, où les mineurs m’aidèrent à construire mon royaume au milieu de l’obscurité et du silence…
-Donc tu étais Huari, le dieu mythologique des urus?
-C’est cela, qhoya loco, répondit-il en se gonflant le torse avec un certain air de fierté et de regret. Après avoir été le dieu protecteur des urus et des troupeaux sauvages, je suis devenu le Supay protecteur et bienfaiteur des mineurs, qui, grâce à leurs superstitions et leurs croyances païennes et religieuses, me confondent avec Lucifer et avec la divinité protectrice des richesses de la mine, où ils me traitent avec crainte, affection et respect.
Le mineur cloua les yeux par terre et continua son pijcheo, tandis que la boule formée par les feuilles de coca, qui ressemblait à un poing calé entre ses molaires et sa joue droite, commençait à se mélanger avec la lejia et la salive, pour ensuite distiller son jus stimulant et pénétrer dans le sang à travers les muqueuses de la bouche, provoquant une sensation de bien-être et permettant de soulager la fatigue, la soif et la faim. Au bout d’un moment, le mineur releva les yeux, cracha une salive verdâtre avec l’adresse d’un lama et demanda :
-Et depuis quand t’appelle-t-on Tio?
-Depuis que les premiers mineurs sont entrés dans ma grotte fumante, en creusant les roches comme des taupes humaines. C’est là qu’ils me trouvèrent transformé en pierre dans la pierre, en poussière de poussière et en terre de la terre. Mais comme ils avaient peur de l’obscurité et du silence, et portaient déjà dans leur esprit les images démoniaques que les hommes blancs leur avaient inculquées, ils reconstruisirent mon image en quartz et en terre minéralisée, en me donnant des formes disproportionnées et terrifiantes. Ils me firent des yeux de cristal, des cornes de bouc, de longues oreilles, un nez horrible, des dents surnaturelles et un énorme pénis pour pénétrer les roches et faire exploser les gisements. Moi qui étais beau et soumis comme la vigogne, ils m’ont rendu laid et féroce comme le diable de l’enfer. Ils me baptisèrent du nom de Tio et commencèrent à me vouer un culte et me faire des offrandes.
-Et pourquoi?, demanda le mineur, en le regardant de travers et en mettant une feuille de coca dans sa bouche.
-Comment ça pourquoi? Merde!, se fâcha le Tio, approchant ses yeux des yeux du mineur et élevant sa voix qui souffla dans la galerie. On me voue un culte parce que je suis le maître et le seigneur du royaume de l’obscurité et des richesses minérales que renferme le sous-sol. Je suis l’un des esprits masculins de la fertilité qui féconde la Pachamama. Je peux être généreux avec ceux qui me font des offrandes avec soumission et respect, et je peux être cruel avec ceux qui m’ignorent et n’accomplissent pas leur devoir envers moi. Ainsi, quand j’ai faim, si on ne m’offre pas le sang des lamas, des brebis et des coqs sacrifiés, j’avale toujours un mineur pour rassasier ma faim et je bois son sang pour calmer ma soif… Le pijcheo du premier vendredi de chaque mois, comme tu le sais bien, est une vieille coutume à travers laquelle on rend hommage à la Pachamama, la déesse andine de la terre ; mais c’est aussi une façon d’offrir des aliments à ma personne, parce que je suis dieu et diable en même temps, le seul maître des filons que les mineurs exploitent dans mes galeries. Le pijcheo est une manière de solliciter ma bienveillance, afin que je protège des maladies et des dangers… Je sais bien que par ici on raconte la légende selon laquelle les feuilles de coca sont les restes d’une demoiselle prétentieuse, qui avait pour habitude de se moquer de l’amour des hommes naïfs après leur avoir offert son corps et ses charmes, jusqu’à ce que les yatiris et les amautas incas, dans leur souhait d’éviter que les hommes perdent la tête et s’ôtent la vie en se jetant dans un précipice, décidèrent la mort de la demoiselle, dont le corps fut découpé et enterré dans les ravins du massif andin. En ces mêmes lieux, là où furent enterrés ses restes, poussèrent des arbustes verts, qui avaient la propriété d’endormir l’esprit des hommes, rassasier les affamés, donner des forces à ceux qui étaient fatigués et faire oublier leurs misères aux malheureux. C’est ainsi que les fils du Soleil, considérant que la feuille était prodigieuse et sacrée, commencèrent à mâcher et à extraire le jus de la coca, non seulement pour ses vertus médicinales, mais aussi dans le but de rendre un culte à la Pachamama, qui a eu le pouvoir de transformer le corps de la demoiselle en un arbuste prodigieux. Pendant la colonie, le pijcheo, qui commença à devenir un acte sacré chez les incas, se généralisa parmi les mitayos qui travaillaient dans l’exploitation des mines, une tradition qui a perduré jusqu’à nos jours, parce que les mineurs qui mâchent des feuilles de coca travaillent plus et mangent moins…
-C’est vrai, cher Tio, dit le mineur, en gardant la distance et le respect qu’il avait toujours eu pour lui. Tu es le maître et le seigneur des richesses minérales renfermées dans la mine, c’est pourquoi nous te rendons un culte et te faisons des offrandes, en mâchant des feuilles de coca et en te faisant la ch’alla avec des bouteilles d’eau de vie. Deux fois par an, au début de février et d’août, les mois du diable, nous préparons des réunions spéciales en ton honneur et nous t’offrons, en plus de la coca, de l’alcool et des cigarettes, le sang d’un lama blanc sacrifié dans la wilancha. La cérémonie se réalise à l’entrée de la mine. La terre, à l’endroit où elle connait le plus grand passage, là où elle fut ouverte et violée par l’homme, reçoit des offrandes liquides et solides pour calmer ta colère et la colère de la Pachamama. On réalise le pijcheo et la ch’alla en ouvrant des bouteilles d’eau de vie. De même, on décore avec des serpentins et des confettis l’achura, les filons, les quartiers de la mine, les outils, ton trône, sans cesser de remercier la Pachamama, qui nous alimente avec les fruits de son ventre. A la fin de la cérémonie, après avoir brûlé les os du lama et dispersé ses cendres vers l’endroit où habitent les mallkus des montagnes, on savoure les délices du qaraku, dans un environnement saturé par la fumée de la q’oa. En sortant de la mine, comme tu le sais et avec ton consentement, nous nous donnons frénétiquement à la fête, nous dansons et chantons au rythme des sikus, des zampoñas et des tambours, accompagnés d’importantes quantités d’eau de vie, parce que l’alcool, en plus de permettre un lien entre les forces divines et les terrestres, est une boisson spiritueuse qui a le pouvoir et la magie de nous montrer un autre monde, différent de celui que nous voyons chaque jour.
Le Tio allait et venait dans la galerie, très près de son trône, en faisant cric crac avec ses sabots qui frottaient sur le sol, tandis que le mineur, la cigarette à la bouche et la ch’uspa de coca à la main, le voyait en entier, illuminé par cette image diabolique qui l’avait marqué depuis le premier jour. Le Tio était le même : les oreilles longues et pointues, les cornes dressées sur le front, le nez tordu, les yeux exorbités, les griffes de félins et le pénis grand et en érection.
Le mineur resta assis sur le callapo, sans hâte ni obligations de travail. Après tout, c’était la dernière fois qu’il se trouvait avec le Tio et la dernière fois qu’il faisait un pijcheo dans cette galerie, où les mineurs ont laissé leurs poumons et leur vie. Le Tio, oscillant comme la flamme d’une bougie et faisant grincer les griffes aiguisées de ses doigts, s’approcha du mineur, et celui-ci lui lança la question :
-Pourquoi est-ce que tu ne permets pas que les femmes entrent dans ta grotte? Est-ce parce que tu as été vaincu par la ñusta Anti Wara, qui, en plus de ressembler à la Vierge, transforma en pierre le serpent, le lézard, le crapaud et les fourmis ?
-Ce n’est pas pour cela, répondit le Tio, se rasseyant sur son trône. Je ne les laisse pas entrer par peur que leur menstruations ne fassent disparaitre les filons et pour éviter que la Chinasupay ne me tombe dessus dans une tempête de jalousie.
Le mineur resta pensif, comme mettant en doute ces paroles, car il savait que le Tio aimait les demoiselles du campement, et il connaissait ses histoires et ses aventures amoureuses, aussi audacieuses qu’impitoyables.
-Maintenant que nous sommes seuls, que nous parlons dans l’intimité de tes origines et des cérémonies rituelles, je voudrais savoir comment et où tu fais l’amour avec la Chinasupay, parce que quand on rentre dans ta galerie tu es toujours seul, comme en méditation sur ton trône…
-Arrête un peu tes questions, merde!, s’exclama le Tio. Il fronça les sourcils et montra les dents, tandis que la fumée de la cigarette lui couvrait la partie supérieure du visage.
Le mineur, effrayé, attacha sa ch’uspa et referma sa bouteille d’eau de vie. Il se leva du callapo, conscient que lui et le Tio étaient les derniers qui étaient restés au milieu du labyrinthe des galeries. Il voulut partir en saluant poliment, mais le Tio l’attrapa par les bras et, le suppliant avec une grande douleur et d’abondantes larmes, lui dit :
-Emmène-moi avec toi maintenant. Je ne veux pas redevenir pierre dans la pierre, poussière de la poussière ni terre de la terre…
Le mineur, bien qu’il partageât la douleur du Tio, comme si c’était sa propre douleur, se pencha en arrière et balbutia:
-Si la mine est ton royaume et ton domaine, pourquoi veux-tu t’en aller avec moi maintenant?
Le Tio, dont l’image était projetée sur  les rochers par la lumière de la lampe, le regarda en faisant rouler ses yeux de cristal. Il cracha le mégot de la cigarette et dit en criant :
-Tu ne te rends pas compte que tu es possédé, merde? Que je suis incarné dans ton corps, que je fais partie de ton sang et de tes os ?...
Le mineur resta stupéfait. Il se retira assailli par la panique et abandonna la galerie, sans se retourner vers le trône du Tio, qui, une dernière fois, lâcha un rire diabolique à la résonnance de pleurs.
Glossaire :
ACHURA: f. Morceaux très prisés de minerai que les mineurs ramassent la veille de la t'inka.
AMAUTA: m. Philosophe, sage. Chez les quechuas, personnage chargé de vérifier les faits historiques pour les réciter publiquement lors des fêtes du soleil.
CALLAPO: m. Tronc d'arbre qui sert de marche dans la mine.
CH’ALLA: m. Cérémonie d'offrande ou de sacrifice aux dieux.
CHINASUPAY: f. Diablesse. Déesse et épouse du Tio.
CH’USPA: f. Petit sac pour mettre de la coca, des cigarettes ou d'autres choses.
INTI: m. Soleil. Les incas adoraient le soleil comme le père créateur.
LEJÍA: f. Pâte faite de cendres végétales, que l'on mastique avec la coca.
MALLKU: m. Condor. Divinité de la théogonie andine.
MITAYO : m. Travailleur forcé dans les mines au temps de la colonisation espagnole.
ÑUSTA: f. Jeune femme de l'Empire inca, que l'on apparente, pour des raisons symboliques, aussi bien à la concubine de l'Inca qu'à la Vierge du Socavon, de la mine, laquelle, selon la mythologie, vainquit les quatre plaies envoyées par le dieu Huari pour châtier et exterminer les Urus.
PACHAMAMA: f. Mère Terre. Divinité des Andes.
PIJCHEO : m. Action rituelle de mâcher des feuilles de coca.
QARAKU: m. Table ou banquet populaire que l'on prépare en l'honneur du Tio, dans lequel ne manquent ni l'abondante nourriture, ni l'alcool, la coca, les cigarettes, les sucreries et la viande d'un lama sacrifié.
QHOYA: f. Mine. Qhoya loco : fou de la mine.
Q’OA: f. Encensoir. Herbe aromatique ou encens que l'on brûle lors du rituel du même nom. La fumée a le pouvoir de parvenir jusqu'aux êtres tutélaires de la cosmogonie andine.
SIKU : m. Flûte andine.
SUPAY: m. Diable, Satan. Personnage qui représente la symbiose entre la religion andine et la religion catholique.
URU: m. Peuple amérindien de langue indépendante (puquina), qui vivait dans la zone interandine, entre le lac Titicaca et le lac Poopo, dont l'origine et l'histoire sont inconnues. Leur mode de vie a été adopté par les aymaras actuels.
WILANCHA: f. Sacrifice de sang d'animaux ou sullus (foetus), en l'honneur des êtres tutélaires du ciel, de la terre et du sous-sol. On sacrifie de préférence au Tio de la mine un lama blanc.
YATIRI: m. Sage, prêtre, guérisseur et conseiller de la communauté andine. Il possède des dons exceptionnels et est expert dans plusieurs arts, parmi ceux-ci la divination dans les feuilles de coca et la médecine traditionnelle. Le yatiri est le seul à pouvoir entretenir des contacts avec tous les niveaux de la cosmovision andine, comme le Alaxpacha (monde céleste), Acapacha (monde terrestre) et le Manqhapacha (monde souterrain et de l'obscurité).
ZAMPOÑA : f. Flûte andine.

(Traduction Emilie Beaudet)
Illustration 1: Lars Borchet (http://www.margencero.com/articulos/articulos2/entrevista_montoya/entrevista_montoya.htm)
Illustration 2: http://www.yarabolivia.com/main.php?mod=discografia&tab=4
Illustration 3: http://qollasuyu.indymedia.org/es/2007/04/3088.shtml

vendredi 16 septembre 2011

Quinoa et quilquiña: menu enfant

Les menus sous vide de cantines scolaires, de collectivités et de certaines nounous m'effraient toujours. Je passe toujours un petit moment à la caisse du supermarché à scruter ce que les gens pressés mettent comme horreurs en boîte dans leur panier. L'argument du temps me fait toujours bondir, alors que certains repas simples et bons peuvent être préparés si rapidement. Bref, je me bats pour faire passer le message: on peut faire vite et bien, à condition d'avoir de l'imagination. Voici une petite recette pour sortir du saucisses-purée ou du jambon-coquillettes, voir des horribles poissons panés...

Mélange de quinoas et légumes
J'ai pelé quelques petites carottes nouvelles, les ai coupées en petits dés et les ai jetées dans une casserole avec quelques petits pois.
J'ai ajouté une poignée de quinoa blonde et une poignée de quinoa rouge, une tomate en dés.
J'ai recouvert le tout d'eau, un peu de gros sel et quelques feuilles de quilquiña bolivienne (voir chapitre précédent pour ceux qui auraient raté un épisode.)
Une fois que toute l'eau a disparu, tout est cuit!
J'ai fait revenir le tout dans un filet d'huile d'olive (du Lac de Garde, s'il vous plait!) et j'ai ajouté une pincée de cumin.
J'ai servi avec du jambon de Savoie.
Résultat dans l'assiette: "hmmm.... ça sent bon...." puis "MMMMmmm... Muy rico mama!"
Ce bon petit plat bien parfumé ne m'a pris ni beaucoup de temps, ni beaucoup d'énergie. Je refuse de croire que c'est hors de portée des mamans surmenées de prendre 15 minutes pour faire ça. Arrêtons de croire que les enfants n'aiment rien. S'ils n'aiment rien, c'est qu'on ne leur faire rien goûter. Plus tôt ils trouvent de la variété dans leur assiette, de la couleur, des parfums et des saveurs, plus ils seront demandeurs de nouveauté et deviendrons des fins gourmets! Et puis, toujours pour les mamans surmenées, quoi de plus relaxant en sortant du travail que de mettre le nez dans les épices, les mains dans la farine et de mettre des vitamines sous son palais!

lundi 12 septembre 2011

CONTES DE LA MINE

Le pari

Le Tio et le mineur firent un pari entre deux verres.

-Je parie que cette nuit tu n’es pas capable de t’envoyer ma femme, défia le mineur.

-Je te parie que si, renchérit le Tio et il sourit comme un maître invaincu dans ce type de jeux et de ruses.

Si le Tio gagnait, le mineur se dévouerait corps et âme au souverain des ténèbres ; mais si le mineur gagnait, le Tio le protègerait des maladies et des dangers, et lui donnerait une partie de ses richesses.

Pari tenu.

Ce même soir, le Tio se présenta chez le mineur, il se glissa dans le lit de sa femme et passa des heures à la retourner d’un côté et d’un autre, sans pouvoir accéder à son intérieur, jusqu’à ce que la lumière de l’aube pointe à la fenêtre, lui annonçant l’heure de son départ.

Le matin, avant que ceux du troisième groupe de travail ne terminent, le Tio et le mineur se retrouvèrent dans la galerie.

-Tu te l’es faite?, lui demanda-t-il sur un ton ironique.

-Comment j’aurais pu me la faire, merde? Ta femme n’avait de trou ni en haut ni en bas.

Le mineur, conscient que dans le lit ce n’était pas sa femme mais un sac de farine habillé en indienne, se tordit de rire dans une attitude de triomphe, jusqu’à ce que le Tio, désireux de se venger du piège tendu par son rival, l’arrête net et lui dise :

-Tu as gagné ton pari, mais tu as perdu ta femme.

-Comment?, s’exclama le mineur, stupéfait et tremblant de peur.

-Oui, affirma le Tio. Cette fois tu t’es grillé, parce que tu as eu la bêtise de la cacher sous le lit, où elle a été réduite en poussière pour t’avoir obéi là où elle n’aurait pas dû.

Le mineur se mit à pleurer et crier, plein du remord de s’être moqué de celui qui récompense avec la même facilité qu’il impose un châtiment.

Traduction:Emilie Beaudet / Illustration: http://levantate.over-blog.com/article-bolivie-quelques-caracteristiques-du-carnaval-de-oruro-44365713.html

dimanche 11 septembre 2011

Nectarine et huacatay

Comme vous le savez, j'aime réaliser des mariages culinaires métisses et originaux. Voici donc:
Tarte aux nectarines et parfum de huacatay
Recouvrez une pâte à tarte de petits dés de nectarines jaunes bien mures...
Arrosez le tout d'un mélange oeuf, lait, sucre de canne...
Déposez sur le dessus des feuilles de huacatay, cette plante péruvienne dont je vous ai déjà parlé...
Mettez au four 30 bonnes minutes...
Servez bien frais. Laissez le jus sucré des nectarines se mélanger en bouche avec le parfum de la huacatay, qui ressemble un peu à la menthe...
Par un jour de pluie, ça rend forcément le sourire...


samedi 10 septembre 2011

Se perdre en montagne...

Paolo Morellli, Guide pour se perdre en montagne, Ed. Guérin, Chamonix, 2006.
Il s'agit d'un tout petit livre dont la critique a fait des éloges. Ecrit en deux parties, il se compose d'une série de définition sur les "outils" et les "rencontres" propres à la montagne. L'auteur ne prétend pas nous donner un guide comme les autres. Ce que nous avons entre les mains, c'est un guide d'un tout autre genre: le manuel du vagabond, de celui qui part en montagne sans objectif, simplement pour s'y perdre. Le début est assez drôle, on reconnaît quelques situations connues, on sourit de se sentir un peu dépeint. Pourtant, très vite, on se rend compte que le style non plus n'est pas commun. Ce n'est pas un ouvrage à lire de gauche à droite, de la première page à la dernière. Tout comme l'auteur laisse transparaître ses nombreuses années d'expérience à s'égarer dans la montagne, il faut sauter d'une définition à une autre, revenir en arrière, faire des bonds en avant, jusqu'à ce que le lecteur aussi se perde dans le livre. L'ironie domine, le cynisme est roi, la poésie omniprésente. Souvent, l'écriture devient hermétique, ressemble à un monologue de l'auteur duquel nous serions exclus, incapables de suivre sa pensée qui vogue vers l'absurde et l'hallucination. Une fois le livre refermé, on est effectivement totalement perdu, perplexe, sans opinion fiable, un peu ébahi mais heureux de s'être égaré dans ce monde complètement délirant qu'est celui de Paolo Morelli.
Voici quelques extraits:
"enthousiasme: utile quand on songe au suicide. Normalement, le laisser aux novices et à ceux qui partent en tongs sur les glaciers. En montagne, les enthousiastes sont plus dangereux que les avalanches et ressemblent à ces dernières par leur imprévisibilité et la vitesse de leur chute. On le retrouve chez les jeunes et les moins jeunes, au caractère fanatique et fantasque. Change d'itinéraire dès que tu aperçois de l'enthousiasme près de toi, et si tu le sens monter en toi, reste au refuge."
"grimpeurs: secte diabolique divisée en plusieurs familles, de la mystique à la sportive, en bagarre les unes contre les autres. On les reconnaît à ce qu'ils laissent leur voiture le plus près possible de la paroi, courent s'y rendre et retournent plein gaz en ville. Chaque famille esssaie d'arriver la première pour occuper la paroi avant les autres, aussi se réveillent ils de plus en plus tôt, toujours plus tôt, si bien qu'ils grimpent à minuit, parfois même à midi du jour précédent. Très entraînés pour la course à la régression, parfois ils grimpent en descente, et même sur leur immeuble ou sur leur mère. Certains, à tendance mahométane, admettent du bout de la langue qu'ils préfèreraient que la montagne vienne à eux, ce qu'elle fera tôt ou tard, pour se faire monter. Ce sont des enragés de toponomastique, ils adorent laisser leur propre nom à une voie. Ils l'écrivent sur la roche au feutre indélébile, de crainte que la neige ou des rivaux ne l'effacent. Dès qu'ils s'arrêtent, ils se délectent à faire des mots croisés dont ils remplissent les colonnes à l'envers. Ils s'adonnent à leur rite en fin de semaine, il faudra donc que le vagabond se lève tard ces jours-là, quand ils seront déjà morts ou en fuite."

vendredi 9 septembre 2011

CONTES DE LA MINE

Avec le Tio

Seul à seul avec le Tio, assis face à face devant une table pleine de dés et de bouteilles, il me proposa de jouer une partie de cacho.
-Je ne veux pas, refusai-je. « Jeu de mains, jeux de vilains. »
-Et pourquoi es-tu venu alors?, demanda le Tio.
-Parce que je veux que tu me rendes l’âme que tu m’as volée…
Le Tio fit étinceler ses yeux et ses dents, lissa sa barbichette et lâcha un éclat de rire sonore.
Sur ce, dans mon dos, j’entendis quelqu’un s’approcher de la porte et la fermer de l’extérieur.
-On nous a renfermés tous les deux, lui dis-je.
-Ce n’est pas vrai, répliqua le Tio et il apparut de l’autre côté de la porte.


Traduction Emilie Beaudet / Photo Joson Devitt

jeudi 8 septembre 2011

CONTES DE LA MINE

Le diable de l'envie
-Maintenant tu vas savoir ce que c’est que l’envie, dit ma grand-mère, en me conduisant par la main vers l’avenue où passeraient les danseurs du fastueux Carnaval de Oruro, dansant à travers les principales artères de la ville jusqu’au Sanctuaire de la Mine, où se trouve le temple de la Vierge de la Chandeleur.
-Pourquoi les mineurs se déguisent-ils en diables et dansent-ils la diablada?, demandai-je à ma grand-mère, en tentant de suivre le rythme de ses pas.
-Parce que c’est une façon de rendre hommage au Tio de la mine, qu’on doit respecter et qu’on ne doit pas fâcher, répondit-elle comme si elle me révélait un secret infernal. Ensuite elle me regarda de biais et ajouta : Mais on danse aussi la diablada pour honorer la Vierge de la Mine, qui est la Patronne miraculeuse et protectrice des mineurs et de leurs familles. En réalité, c’est à elle que l’on doit cette tradition pagano religieuse et c’est à elle qu’on voue un culte et qu’on se dévoue, depuis le jour où elle a été découverte sur le mont Pied de Coq, où se trouvait l’humble maison du Chiru Chiru…
-Et qui était le Chiru Chiru?, demandai-je avec la curiosité typique des enfants.
Ma grand-mère me serra la main, battit l’air de sa magnifique corpulence et répondit :
-Selon ce que racontèrent les habitants de la Villa Saint Philippe d’Autriche, car la ville s’appelait anciennement ainsi, le Chiru Chiru était le surnom d’un célèbre voleur qui attaquait les familles riches pour ensuite distribuer son butin aux pauvres, non par charité mais dans l’intérêt que ces derniers le protègent en cas de danger…
Je marchais à côté d’elle, trébuchant sur les gradins de bois construits le long des trottoirs, tandis que le soleil pointait timidement entre les nuages qui, au loin, semblaient de déchaîner en averses. Mais les spectateurs, indifférents au temps et habillés de leurs plus beaux vêtements,  parlaient, riaient, mangeaient et buvaient comme s’ils se trouvaient dans le meilleur des mondes.
Ma grand-mère marchait à grandes enjambées, en parlant d’une voix agitée, et je regardais comment une bande de gamins faisait éclater des ballons gonflés d’eau sur les fesses et les seins des filles qui couraient de tous les côtés, pleurnichant vivement et se couvrant la tête avec les mains.
Dans les rues centrales de la ville, décorées avec des fanions qui ondoyaient dans le vent, il était presque impossible d’avancer dans le tumulte, sans compter que les sièges les mieux placés étaient déjà occupés par les familles que ma grand-mère appelaient « décentes », que l’on reconnaissait à leur façon de parler, de s’habiller et de regarder.
Lorsque nous arrivâmes à l’Avenue Civica, au milieu d’un va et vient de passants, nous cherchâmes un endroit d’où nous pourrions voir l’entrée du Carnaval, dont la procession était précédée par la Vierge portée, le maire, l’archevêque et d’autres autorités importantes. Derrière venaient les chargements d’argenterie, symbolisant les richesses extraites du ventre de la montagne, et les différentes fraternités de danseurs faisant étalage de leur musique, leurs costumes et leurs chorégraphies.
Les fraternités, suivies par des fanfares de musiciens qui démontraient leur adresse dans le jeu de leurs instruments, traversèrent en dansant l’Avenue Civica, où quelques enfants, regroupés sur les gradins, suçaient des glaces et buvaient du moq’onchinchi. Les hommes buvaient de la bière Huari et des cruches de chicha, tandis que les femmes servaient des plats de aji de cervelle, de langue, pattes et queue de bœuf et de mouton. Et, au milieu de la fête pleine de joie et de couleurs, il y en avait toujours qui mangeaient du ranga ranga et du ch’arkhikan, avec du pain khasi et de la llaj’wa.
A l’entrée de la fraternité des diables, dont la musique se répercutait au loin, ma grand-mère et moi, en nous frayant un passage à coups de coude, nous pûmes nous placer à un bon endroit, où les diables, séparés en deux colonnes, exécutaient une chorégraphie démoniaque, sautant et agitant des mouchoirs en l’air. Devant, au milieu des jukumaris et des mallkus, s’avançait l’archange Saint Michel, au masque blanc comme le plâtre et au costume céleste. Derrière lui marchaient Lucifer, la Chinasupay et la cour de diables repentis qui personnifiaient les sept péchés capitaux. On pouvait les distinguer grâce à la couleur de leurs masques : l’orgueil en rouge ; l’avarice en noir ; la luxure couleur orangé ; la colère, couleur cerise ; la gourmandise en bleu ; la paresse en vert, et l’envie était en jaune.

-Maintenant, approche-toi et regarde, me dit ma grand-mère, en me poussant doucement dans le dos.
Je m’éloignai un peu d’elle et, me frayant un passage entre les gens, je réussis à me faufiler entre les diables aux costumes brodés et aux masques féroces, jusqu’à ce qu’enfin je puisse voir de près le duel à mort entre le Bien et le Mal. A trois pas de moi se trouvait l’archange Saint Michel, les ailes déployées, l’épée dégainée, les bottes jusqu’au mollet, la tunique serrée à la taille, le jupon plissé, le casque reluisant, la cuirasse métallique et le masque de personnage céleste : lèvres fines, pommettes rosées, dents brillantes et yeux transparents comme le ciel dégagé de l’altiplano.
Ensuite, sous le soleil qui apparaissait et disparaissait entre les nuages, je concentrai mon attention sur le diable au masque jaune, qui représentait le péché capital de l’envie, car selon ce que me raconta ma grand-mère, il était l’un des anges rebelles qui avaient été expulsés du ciel et envoyés en enfer en tant que diables, parce qu’il s’était opposé à Dieu dans son comportement et ses actions, et parce qu’il avait trompé le genre humain. Tout avait commencé dans un temps sans temps, lorsque l’archange Saint Michel avait livré une grande bataille contre le dragon à sept têtes et dix cornes. Le dragon, secondé par ses armées d’anges rebelles, s’était défendu avec ses griffes et ses crocs ; mais en échouant, il était clair qu’il n’y avait alors plus de place pour lui au ciel. Il fut donc délogé du royaume de Dieu et jeté dans l’abîme, avec une clé et une chaîne à la main. La Terre avait ouvert sa bouche et l’avait avalé tout entier. Là, dans ces prisons d’éternelle obscurité, où les mineurs l’ont fait devenir leur Tio, le dragon vit toujours, prince des ténèbres, enchaîné à un rocher et attendant le jugement dernier.
J’étais impressionné par la physionomie du diable de l’envie. Je m’assis par terre et suivis ses pas du regard, tandis que dans mon dos se faisait entendre le ronronnement des gens, qui battaient des mains chaque fois que le spectacle de rue prenaient des dimensions théâtrales.
L’archange Saint Michel, dague et épée en main, répétait des paroles inintelligibles et marchait autour du diable, dont les expressions démoniaques inspiraient de la terreur et de l’effroi ; ses yeux, grands comme des ampoules de couleur, donnaient la sensation d’être sortis de leur orbite ; le serpent à trois têtes, qui se détachait de son front et pendait au-dessus de son nez, semblait se tordre de manière menaçante et dangereuse ; il avait les paupières gonflées, les oreilles longues et les lèvres pointues, qui montraient une expression de furie et tenait un crapaud entre ses dents. La luminosité de son costume, parsemé d’araignées, de lézards et de serpents, m’apparut comme un déguisement fait de lumières et de cristal. C’est seulement alors, comme transporté dans le monde infernal des ténèbres, que je compris pourquoi ma grand-mère, chaque fois qu’elle me surprenait au sommet de mes bêtises, me disait en criant : « Les diables vont t’emporter ! »
Bien qu’assiégé par les spectateurs, qui jouissaient du spectacle plein d’exubérance et de folklore, je restai taciturne et bouche bée, parce que la personne qui portait le costume, faisant tinter l’étalage de pierreries de son pectoral et de son jupon, ne prétendait pas être un diable : il était le diable, générateur de vices et de maléfices. Il se déplaçait de manière saccadée et rugissait d’une voix profonde. Par moments, tandis que je regardais ses bottines et ses gants qui portaient des animaux vénéneux en relief, je m’imaginais que son masque était la réplique exacte du visage du Tio de la mine, où les mineurs, tout en mâchant des feuilles de coca et en buvant des gorgées d’eau de vie, exécutaient la danse infernale en l’honneur du démon.
-…J’ai causé plus de mal que personne, confessait le diable de l’envie, qui avançait, le regard posé sur l’archange Saint Michel. Je suis le plus misérable de l’existence et c’est pour cela que j’ai le visage jaune… Sur moi pèse la malédiction éternelle, qui est aussi horrible que le venin que j’avale dans d’atroces souffrances… Toi, archange Saint Michel, laisse-moi partir ; je sais que ma présence te répugne… Laisse-moi me réfugier dans l’antre où je me dévore moi-même dans une envie sourde… Toi, qui marches sur des scorpions et des serpents, tu sais que ma place n’est pas parmi les hommes de ce royaume, mais parmi les démons qui habitent la fange et les flammes de l’enfer…
L’archange Saint Michel, qui se mouvait avec élégance et le tenait en respect avec son épée, l’accusait:
-Toi, qui es l’ange rebelle, celui qui ignora la voix de Dieu et tomba du ciel comme un éclair, tu es condamné à vivre dans le paradis des serpents venimeux. Là est ta place et c’est là que t’attendent tes semblables, avec qui tu vivras et connaîtras les douleurs que causent les péchés capitaux. Misérable tu es et misérable tu finiras, sans que les pierres précieuses de ton costume ne te servent à rien ; topaze, jaspe, rubis et diamant ; or, saphir, grenat et émeraude… Toi, qui étais un grand chérubin et protecteur de la sainte colline de Dieu, où tu te promenais gaiement entre les pierres de feu, tu t’es transformé en la bête la plus horrible et immonde qui existe sur Terre… Tu étais parfait dans tous tes chemins depuis le jour où tu avais été créé, jusqu’à ce jour où tu t’es allié avec le dragon à sept têtes et dix cornes. Alors ton cœur est devenu hautain à cause de ta beauté, tu as corrompu ta sagesse à cause de ta splendeur et tu as incarné l’envie comme péché mortel… Depuis, tu es condamné à vivre dans d’atroces souffrances et à avaler l’amer venin que distille ton cœur…
-Tout a été dit, archange Saint Michel, puissant vainqueur et protecteur des royaumes célestes. Je suis l’esprit malin et mes méchancetés recouvrent la Terre tout comme les eaux recouvrent la mer, disait le diable, soupirant tristement. Je suis un pécheur impénitent, menteur et calomniateur… Je suis le diable qui blesse les hommes avec fureur, celui qui domine les nations par la colère et punit ses adversaires avec cruauté. Pire encore, l’envie que je ressens pour les autres est le venin qui dévore mes entrailles… Ne vois-tu pas comme je souffre ? Prépare donc ton épée et tue-moi ensuite avec elle !...
L’archange Saint Michel se mit sur la pointe des pieds et, avec la pointe de son épée, lui asséna une estocade précise dans la poitrine. Le diable rugit comme une bête et s’effondra sur le sol, pendant que l’archange, battant des ailes comme un éventail, faisait des tours comme un coq de combat, faisant briller son aura de puissance, digne d’être admirée et respectée.

Je m’écartai du lieu et revins là où se trouvait ma grand-mère ; elle avait les yeux humides et la respiration accélérée. Elle avait de la peine pour la tristesse du diable de l’envie, qui, se tordant dans des spasmes de douleur, faisant semblant de mourir au milieu des diables qui, sautant au rythme de la musique qui faisait vibrer l’air, continuaient leur marche en direction du sanctuaire de la Vierge de la Mine.
-Maintenant tu sais ce qu’est l’envie, n’est-ce pas?, dit ma grand-mère, en me regardant par-dessus son épaule.
-Oui, répondis-je d’une voix cassée. Maintenant je sais que l’envieux est un être répugnant comme ce diable au masque jaune…
Sur le chemin du retour à la maison, ma grand-mère me prit par la main et me conduisit au milieu du chaos de la foule, qui allait et venait sous un ciel plus nuageux qu’avant. Je marchais la tête baissée et en silence, sans cesser de penser qu’aussi bien le diable de l’envie que l’archange Saint Michel étaient les personnages qui représentaient les vertus et les défauts humains, comme s’ils étaient le côté pile et le côté face d’une même pièce.
La soir, encore marqué par la fantaisie des costumes et les masques des diables, je mangeai le repas que ma grand-mère avait fait réchauffer sur le fourneau et me couchai en me signant trois fois, pour que ces êtres infernaux ne m’apparaissent pas en rêve et pour que ma grand-mère ne me répète plus la phrase : « Les diables vont t’emporter ! »
Glossaire:
AJI: m. Sorte de plat épicé.
CH’ARKHIKAN: m. Plat composé de viande de lama séchée au soleil.
CHICHA : f. boisson alcoolisée faite à partir de jus de maïs fermenté.
CHINASUPAY: f. Diablesse. Déesse et épouse du Tio.
JUKUMARI: m. Ours. Symbolise la force du peuple andin, mais aussi la pénétration européenne dans le territoire des urus.
KHASI: adj. Facile à déchirer.
LLAJ’WA: f. Sauce piquante de tomates, locoto (piment), killkiña (plante aromatique) et un peu de sol que l'on moud dans un mortier.
MALLKU: m. Condor. Divinité de la théogonie andine.
MO’QOCHINCHI: m. Boisson rafraîchissante faite à partir de pêches séchées.
RANGA-RANGA: f. Plat préparé avec de la panse de vache, des pommes de terres, du chuño, du aji jaune (piment) en gousse cuit en ragoût, des oignons et de la tomate émincés.
(Traduction:Emilie Beaudet / Illustration 1: E.Beaudet / Illustration 2: http://giulianacesariniproart.com/home.html , un site sur l'art et les cultures du monde, à visiter)

Quinoa et quilquiña

Toujours inspirée par le livre de Clea autour de la quinoa et de ses variantes, je suis partie d'une de ses recettes pour la personnaliser et la rapprocher des saveurs de Cochabamba... Voici donc:
Velouté de légumes façon lawa aux flocons de quinoa et à la quilquiña
J'ai d'abord découpé en dés
-2 petites courgettes
-2 tomates cornues des Andes
-1 oignon
- 2 carottes
- 2 pommes de terre
(j'ai la chance que tout cela vienne d'un jardin auvergnat à la terre volcanique...)
J'ai fait revenir tous ces légumes dans une grande casserole, dans de l'huile d'olive.
Ensuite, je les ai recouverts d'eau, j'ai salé et attendu qu'ils cuisent un peu.
J'ai versé 50 g de flocons de quinoa et 1 verre de lait (de quinoa, c'est mieux, le lait de vache est assez écoeurant ensuite...)
Et la touche finale mais sans doute la plus importante:
- 1 cuillère à café de AJI AMARILLO en poudre
- quelques brins de QUILQUIÑA (je vous en parle ensuite)
J'ai couvert, attendu que les flocons de quinoa gonflent, épaississent, ai rajouté de l'eau, ai remué, encore remué, encore attendu.
Et puis au bout d'un certain temps, j'ai plongé mon nez dans la marmite, ai fermé les yeux: j'y étais, j'étais à Cochabamba! Au palais, ma recette ne m'a pas déçue, j'ai retrouvé les saveurs de la Bolivie, d'une lawa de quinoa veloutée, des parfums d'une soupe d'un déjeuner en regardant la pluie tropicale se déchainer sur les tôles du toit.
Voici en images:

Alors il faut maintenant que je vous parle de la quilquiña...
C'est une plante aromatique au parfum très fort, qui ne sent que lorsqu'on la touche ou lorsqu'on en coupe une feuille. Elle vient de Bolivie, vous l'aurez compris, et est indispensable à la cuisine de Cochabamba: soupe, viandes, salades, et surtout llajwa, cette purée de piment, en général vert, qui accompagne tous les plats et qui est saturée du parfum de la quilquiña. Pour moi, la quilquiña, c'est la Bolivie.

Alors lorsqu'un jour j'ai reçu ce paquet dans ma boîte à lettres et que je les ouvert, toutes les senteurs se sont démultipliées et j'ai fait un saut géographique de 10 000 kilomètres. Depuis, cher Patricio, la quilquiña et la huacatay péruvienne croissent tel le haricot magique dans un jardin où le soin qu'on leur apporte n'est pas étranger à leur bien être. De temps en temps, une petite livraison m'arrive. Alors, dans ma cuisine, je me prends à rêver de la soupe de fèves, de la lawa et de la llajwa...


mercredi 7 septembre 2011

Les mineurs de Matheysine

Bernard Biais, Gueules noires en Dauphiné. L'épopée des mineurs de la Matheysine, 2008.
Il s'agit vraiment d'une épopée, que celle des mineurs de la région de la Mure, en Isère. Lorsque je me suis rendue à la Mure il y a quelques temps, j'avais bien sûr entendu parler des mines d'anthracite, du train de la mine (que j'ai d'ailleurs emprunté et qui est devenu un superbe atout touristique, voir ici). Mais c'est en visitant le musée de la Mine Image que j'ai vraiment ressenti l'importance de l'exploitation du charbon dans l'histoire de la région. J'ai donc voulu en savoir plus et j'ai ouvert, certes un an plus tard, les pages de ce fabuleux document que nous offre Bernard Biais.
Il s'agit d'un recueil de témoignages d'anciens mineurs de fond, ingénieurs, commerçants de la région de la Matheysine. Page après page, on en apprend énormément sur l'histoire, l'exploitation, les soubresauts de ces mines qui produisaient le charbon le plus pur du monde. Tout s'articule autour des prévisions de fermeture des mines et des luttes de toute une population pour conserver son industrie, son patrimoine, sa culture. A travers les différents récits, on se familiarise avec la vie, le travail, la solidarité, une certaine fierté et autant de nobles valeurs véhiculées par les mineurs et leurs familles.

Bernard Biais, passionné par ce travail autant sociologique qu'historique et culturel, a la grande qualité de s'effacer totalement et de mettre en avant la voix des témoins, co écrivant même des passages du livre avec certains d'entre eux. Il le dit lui même, cette enquête au sein du monde minier n'a pas été simple. Car il s'agit véritablement d'un monde à part, où les dangers, les accidents et les maladies semblent dérisoires ou du moins surmontables, dans le discours des mineurs, grâce à la fierté et à l'amour qu'ils portent à leur profession, à la solidarité et à l'entraide qui en découlent, cette même entraide qui, au travers de mobilisations spectaculaires, a permis de retarder de 30 ans la fermeture des sites d'exploitation du charbon.
Bernard Biais, avide de connaissance sur ce milieu particulier, s'est rendu dans les mines de Potosi, en Bolivie. Là-bas, outre des conditions de travail et de vie largement plus déplorable que dans les mines françaises, il a cependant retrouvé un même esprit de courage, de combativité et de fraternité. Il semble que la culture minière, au-delà des frontières, des langues et des territoires, soit universelle et que les mineurs, d'un pays à l'autre, se reconnaissent.
Bien sûr, les dernières mines de la Matheysine ont fermé dans les années 90. Mais cet ouvrage poignant et édifiant est un témoignage vivant qui a le mérite de faire perdurer la mémoire des mines et des mineurs.

Bernard Biais a quitté le métier d'ingénieur pour se consacrer à l'association Au delà des mots, l'image, dont il est responsable, et qui anime des ateliers de communication et de prise de parole ainsi que des ateliers d'écriture.

mardi 6 septembre 2011

CONTES DE LA MINE

Le Tio et la Vierge

Le Tio eut une révélation divine. La Vierge de la Mine lui apparut dans la dernière galerie, le suppliant de danser la danse des diables. « Un Carnaval sans le Tio n’est pas un Carnaval, lui dit-elle, tout comme l’enfer n’est pas l’enfer sans Satan. » Le Tio l’éclaira avec la lumière de son regard et accepta la proposition, mais il lui demanda de quitter la galerie par où elle était entrée. Il craignait que sa présence de femme fasse disparaitre les veines de minerai. « Je comprends ta préoccupation, le tranquillisa-t-elle. Une mine sans minerai n’est pas une mine, tout comme le Tio n’est pas le Tio sans minerai ni Carnaval ». Ayant dit ceci, pouf !, la Vierge de la Mine se volatilisa sous les yeux du Tio, qui depuis ce moment danse, vêtu de Lucifer, dans les carnavals.
(Traduction:Emilie Beaudet / illustration: danseurs se prosternant dans le sanctuaire de la Virgen del Socavon, la Vierge de la mine, de Oruro, http://ostblockinkasontour.wordpress.com/2008/10/27/vom-salar-bis-oruro/virgen-del-socavon/ )