lundi 23 mai 2011

L'anti routard

Alexandra Retti, Bolivie, Anti-guide de voyage, 2006.
Tout commence bien. L'histoire: Laure, une baroudeuse qui a vécu en Bolivie avec son amoureux de l'époque, se voit confier la rédaction du Guide de la Routarde sur ce pays, un guide pour les femmes. Y a-t-il une façon différente de voyager au féminin, se demande-t-elle? Qu'importe, contrat en poche, Laure repart pour la Bolivie, se promettant de rédiger un guide sans stéréotypes, à l'image de ce qu'elle connaît, elle, du pays. Commence alors un tour des différentes villes et lieux touristiques: Santa Cruz, qu'elle retrouve après des années d'absences, Sucre, Uyuni et le Salar, Potosi, le Beni, La Paz... On suit l'héroïne sans problème dans ses pérégrinations, on sourit en lisant sa manière d'appréhender la Bolivie, cash, sans clichés, impossible de se faire avoir, ce pays, elle le connaît. Le langage est familier et direct, le caractère de la protagoniste bien défini, elle a une vraie personnalité, ça se lit très vite et avec plaisir. Moi qui connaît aussi un peu la Bolivie, je me suis bien retrouvée dans sa manière de voir les choses, de les décrire. D'ailleurs, les descriptions sont précises à souhait, on sent que l'auteur a mis les pieds dans ces lieux là plus d'une fois et qu'elle se délecte en les retranscrivant dans son roman, comme dans un album souvenir. Par contre, j'ai commencé à douter de l'opportunité de certains passages lorsque sont apparues des discussions entre le personnage, Laure, et d'autres boliviens, ou touristes, ou professionnels étrangers où là, pour le coup, le petit côté donneur de leçon, je sais des choses et il faut que je les place dans mon roman, s'est fait un peu lassant, gênant, voir lourd. Evidemment, quand on écrit un roman sur un pays qu'on connaît aussi bien, il est très facile de déborder et d'écrire des parties plus théoriques et universitaires que réellement fictionnelles (et je sais de quoi je parle, pour être en ce moment même sur un projet de ce type...). Admettons, le dosage, c'est difficile. Par contre, lisant toujours ce roman comme un récit du même type que je suis en train d'écrire, donc, fatalement, en terme de comparaison, je me suis dit qu'une relecture de choc était essentielle. Il reste, dans ce roman, des fautes des frappe, de français, de syntaxe, assez gênantes pour être oubliées. C'est sans doute mon oeil critique de "je peux mieux faire, ou du moins aussi bien", qui n'a pas pu passer outre. Et puis la fin, et c'est encore un avis très subjectif, semble avoir été écrite un peu en courant. Justement, je suis restée sur ma faim. Une petite pirouette dans le récit et nous revoilà déjà à Paris, c'est un peu surprenant. Mais laissons de côté ces critiques et reconnaissons que c'est du bon bouquin, de celui que devraient lire tous les touristes avant de partir en Bolivie, histoire de se défaire de leurs idées préconçues et de leur carapace d'européen en voyage dans le Tiers Monde. Alexandra Retti nous offre un récit à la mesure de l'amour qu'elle porte à ce magnifique pays, ça se sent, et c'est tout à son honneur. Ce roman va sans doute beaucoup m'inspirer et m'apprendre pour mon propre travail du moment...

dimanche 22 mai 2011

Le pays des mille étangs


La Brenne... Que de souvenirs... Enfant, cela signifiait des dimanches "à la pêche", par tous les temps, des déjeuners dans la "cabane" ventée à l'automne, des balades entres les étangs qui sentaient la vase et des envols d'oiseaux que je ne savais pas reconnaître. C'était des escapades en barque percée sur l'eau, des tortues boueuses et des ragondins (dont on me parlait en terme de pâté, pas très appétissant), des carpes qui finiraient farcies et des grenouilles attrapées à l'épuisette pour les regarder s'énerver dans un seau d'eau le temps d'une après midi. La Brenne, c'était un peu l'ennui, il faut le dire. La répétition. Et puis, un jour, tout s'est arrêté. Les dimanches à l'étang, les marches sur les sentiers marécageux, les clafoutis et les vents froids et humides d'octobre. Le temps a passé. J'ai vu d'autres paysages, plus beaux, plus loin. Il n'y a pas si longtemps, je suis revenue me balader dans la Brenne. L'étang de mon enfance a bien changé, mais les paysages, les odeurs restent les mêmes. Bizarrement, cela ne sent pas autant la vase et les vents ne sont pas aussi désagréables que par le passé. Aujourd'hui, la Brenne pour moi, ce sont des milliers d'étangs, des arbres centenaires et toute une vie d'insectes, d'oiseaux, de rongeurs, qui fourmille sous les feuilles.


Ce sont des lacs qui prennent parfois, à la lueur du soir, des airs de lacs des hauts plateaux andins.
Ce sont des enchevêtrements de racines qui rappellent la mangrove. Ce sont des mystères et des grands espaces.


Il ne manque plus que le clafoutis aux cerises pour que je vous refasse l'histoire, plus sensible qu'avant aux charmes de cette incroyable région de mon enfance.
(Photos: emi)

jeudi 19 mai 2011

Leçon de salteña

"Comment manger sa première salteña: 1) si vous ne l'êtes pas déjà, vous vous mettez debout, en vous penchant légèrement vers l'avant et en tenant la salteña verticale. Ce beignet est allongé donc quand vous en verrez une vous comprendrez ce que ça dire, il a une forme de ballon de rugby un peu aplati d'un côté. 2) Vous mordez le coin le plus haut, juste un petit peu, pour faire un trou dans la pâte. 3) Vous aspirez le jus qui se trouve à l'intérieur. 4) Vous pouvez alors commencer réellement à la manger. Itérer si besoin les points 3 et 4, néanmoins rester bien debout et penché vers l'avant afin que ce qui pourrait tomber, comme vous le savez les choses tombent à la verticale, ne tombe pas sur votre poitrine, si vous avez joué dans les méga-vixens, votre ventre, si vous êtes grosse et/ou enceinte, vos genoux, si vous êtes assise, vos chaussures, si vous êtes debout et mince... etc. Manger une salteña allongée est purement et simplement impossible. Les Boliviens sont très entraînés au sport de la salteña car tous les pots dans les bureaux et autres lieux de travail se font le matin et à base de ça. Et sur une chemise blanche au bureau devant tous les collègues c'est grave une tache de jus de salteña! A peu près comme une grosse tache de rouge sur la chemise à 12h30 dans un bureau au 30ème étage dans une tour de la Défense. Le champagne est plus discret, mais pour les salteñas il n'y a pas d'alternative, quel que soit le remplissage choisi, la tache est du même genre, du genre voyant."
Extrait de Alexandra Retti, Bolivie, Anti guide de voyage.

lundi 16 mai 2011

La voix des océans

Olivier de Kersauson, Ocean's song, 2008.

De l'air, du large, des embruns et des grands vents. C'est ce qui se dégage de ce livre rien qu'à l'ouverture de ses premières pages. C'est bien ce qu'il me fallait pour alléger un peu ma quarantaine (oui, la rougeole, rien de grave, mais à mon âge, ça calme). Bref, un appel du large. Olivier de Kersauson prend bien le temps au début de son bouquin, peut-être trop d'ailleurs, pour nous expliquer le traumatisme que la guerre avait laissé sur sa famille et son environnement. Né en 1944, il a ressenti comme un énorme poids tous ces non dits, ces silences, ces interdits et la peur que ça recommence. Si bien que depuis toujours, le germe de la fuite s'est ancré au plus profond de lui. Un seul souhait, une seule perspective, fuir ce monde figé des terriens pour celui de la mer, repousser les règles et les horizons, surtout ne jamais être attaché ni contraint à rien. Pendant des années il navigue avec Tabarly, dont il apprend beaucoup, puis ce sont des decennies de courses, de records, de tours du monde dans tous les sens. Pourtant, ce livre n'est pas le récit d'une série de victoires contre la mer, contre les éléments. C'est plutôt le témoignage de vie d'un homme qui a choisi son élément, choisi de n'avoir qu'une patrie, les océans. Kersauson nous raconte ses souvenirs, en vrac, ses impressions sur les choses, les gens, les pays et leur évolution à travers le temps, ses petits boulots, ses coups durs. Le tout avec un langage taillé au fil du rasoir, entre poésie pure à l'unisson de la beauté du monde et familiarités bourrues. Le marin nous entraine et on finit par l'admirer, par s'incliner devant la trace qu'il laisse. Sa vie, son oeuvre en un seul mot: la solitude, la grande solitude de l'aventurier qui rend lucide, vrai et sage.

samedi 14 mai 2011

CONTES DE LA MINE

EXPLOSION!!

Fermin, le fils unique d'une veuve dont le mari était mort pendant la Guerre du Chaco, était le mineur le plus jeune de son équipe. A la différence de ses camarades, qui le regardaient avec une certaine méfiance, il conversait seul à seul avec le Tio. Personne ne savait ce qu'ils se disaient, mais tous pressentaient qu'un mauvais présage le guettait dans la mine.

Après le Carnaval, où il avait cessé de danser dans le groupe des diables, on le vit plus triste et pensif, jusqu'à ce qu'un jour, une journée de travail normale, peu avant l'explosion d'une charge de dynamite dans une veine, il alerta ses camarades: « Explosion!!... Explosion!!... Explosion!!... »

Les mineurs, s'éloignant du lieu, se réfugièrent dans une galerie voisine.

Le tir secoua la montagne, le lieu de travail s'emplit de poussière et de fumée, et Fermin disparut comme par un souffle divin.

Ses camarades le cherchèrent partout, mais ils ne retrouvèrent que sa lampe et son casque sous les décombres de l'explosion.

Tous firent des hypothèses sur la raison de sa mort, jusqu'à ce que le Tio leur révèle que Fermin avait décidé de s'ôter la vie par sa volonté propre, à cause d'une déception amoureuse qui ne le laissait pas vivre en paix. Il avait ajusté les cartouches de dynamite contre la roche, mis le feu à la poudre des détonateurs et, après avoir lancé trois cris: « Explosion!!... Explosion!!... Explosion!!... », il avait laissé la charge explosive le réduire à néant.

-Quel dommage! Pauvre Fermin!, se lamentèrent les mineurs. C'était son premier jour comme lamero* et le dernier de sa vie.

Glossaire:

LAMERO: m. Ouvrier chargé de lamear ou de provoquer l'explosion de dynamite.




(Traduction :emilie beaudet / illustration: Manu Brabo,

http://nomadas.abc.es/foto-galeria/minero-prepara-una-voladura-con-dinamita-en-el-interios-del-pozo-san-jose-oruro/



vendredi 6 mai 2011

Nuit

Il y a des mains crispées.
Il y a des pieds nus.
Il y a un corps qui tremble.
Un bras qui saisit l'autre / une étreinte qui étrangle / un sang qui se glace / des pas vibrants
Il y a un coeur qui explose / un couteau qui s'aiguise / des bras qui serrent l'enfant / des mains qui arrachent une clé / des pieds nus qui courent dans la rue
Il y a le vent qui cingle le visage
Il y a des yeux béants
Il y a une poitrine qui suffoque
Des mains qui serrent l'enfant
La rue sale sous les pieds / les passants les yeux baissés
Des os qui tremblent, qui transpirent de sueurs froides
Des oreilles bourdonnantes / des cris avalés / des larmes qui nouent et étouffent de ne pas sortir
Il y a un cerveau qui implose / des pensées liquidées / et l'enfant qui demande
Pourquoi?
La réponse est gémie
On s'en va / on s'en va
Il y a des pieds nus qui conduisent dans la nuit
Il y a l'autoroute et la vie qui se défile
Le coeur en suspend et l'enfant endormi

mardi 3 mai 2011

CONTES DE LA MINE

Dans la galerie du Tio



Le Tio me réapparut en rêve. Je le vis debout dans sa galerie, de dos, à quelques mètres de son trône; il avait l'aspect du Minotaure et la tête penchée, comme s'il cherchait quelque chose par terre. La seule lumière qui illuminait la galerie était celle qui se dégageait de son corps, comme un halo dont l'intensité pouvait blesser le regard. Par moments, se prenant la tête, il semblait gémir en lançant de petits cris et en marmonnant des mots inaudibles.

Je ne voulais pas le surprendre ni l'interrompre, c'est pourquoi je restai à une certaine distance, tapi dans la large fissure d'une roche, où personne ne pouvait me voir, par même le Tio dont le regard possède la faculté de traverser la pierre. Cependant, je dois reconnaître que j'avais une sensation de peur toujours plus grande, assailli par l'idée qu'il puisse se retourner et me liquéfier du feu de ses yeux.

Le Tio écarta les jambes, leva les fesses et lâcha un pet. Je me pinçai le nez avec les doigts et regardai autour jusqu'à ce que, au loin, on entende un trac-trac-trac dans l'obscurité. C'était deux mineurs qui s'approchaient de la galerie du Tio, lequel, en entendant le grincement des pas sur les scories, recula comme flottant dans l'air, s'assit sur son trône et s'éteignit comme pétrifié d'une façon mystérieuse.

Les mineurs, leurs lampes accrochées sur les casques, s'assirent sur les callapos*, mâchèrent de la coca et burent des gorgées d'eau de vie. Ils se plaignirent de leurs vies et dirent que leur tragédie était un châtiment divin, c'est pourquoi ils décidèrent de tourner le dos au Tio et de se donner corps et âme à la miraculeuse Vierge de la Mine.

Le Tio écouta la conversation depuis son trône, en craignant de rester abandonné dans les cavités, sans que personne ne lui rende hommage ni ne lui fasse des offrandes. S'il en était ainsi, il n'y aurait plus personne pour solliciter des béatitudes de sa part et pour lui dire: « Ne me laisse pas mourir dans la pauvreté, petit Tio. Ais pitié de moi et donne moi un peu de ta richesse. Fais-le par amour pour ma femme et mes enfants. Montre-moi juste le meilleur filon... »

Les mineurs, habitués à exploiter l'étain à la pointe de la masse et de la perforatrice, étaient en colère contre le maître absolu des richesses minérales, qui avait fait disparaître les veines dans une attitude de vengeance, depuis le jour où il s'était rendu compte que les mineurs, sans lui demander sa légitime autorisation, s'étaient engagés à danser la diablada en l'honneur de la Vierge de la Mine.

Le Tio, dont la silhouette fut projetée par la lumière des lampes sur un fond tellurique, demeura assis et tranquille. Mais l'indignation était si grande parmi les mineurs, que cette fois-là ils ne l'invitèrent pas à partager la coca, les cigarettes et l'alcool. Au contraire, ils le critiquèrent de vive voix et les injures vibrèrent comme des explosions de dynamite.

« Tio, connard! », lui crièrent-t-ils. « Tio, radin», lui crièrent-t-ils. « Tio, putain! », lui crièrent-t-ils. « Tio, salaud! »...

Le Tio, dans le but de faire prévaloir son incontestable autorité, se leva, fit claquer son fouet et brandit sa langue comme une épée. Il semblait irrité par le ton supérieur avec lequel ils lui parlaient, lui bramant presque dans les oreilles. Mais, égal à lui même, il garda sa sérénité et ne perdit pas les pédales.

L'un des mineurs, pris d'une colère profonde et prêt pour un règlement de comptes, se mit en face de lui et s'exclama:

-Fils de chienne! Tu nous as promis la richesse et tu ne nous donnes que la pauvreté!

Le Tio le regarda en silence et sourit, tout en projetant une lueur par les yeux comme lorsqu'il était furieux.

Le mineur pleura et maudit, maudit et pleura, jusqu'à ce que, ravalant sa morve et éclaboussant de crachats, il l'attaqua les poings en avant.

Quant à moi, pour être franc avec vous, j'avais le cœur retourné par la peine. Je ne voulais pas qu'on l'insulte ni qu'on l'agresse. Plus d'une fois j'eus envie de sortir de la faille pour les retenir et les dissuader, mais il me manqua le courage suffisant pour défendre la puissance du Tio.

-Qu'avons nous fait de mal, nous les travailleurs, pour mériter cette punition?!, vociféra le mineur. Tu ne vois pas dans quel état nous sommes?! Comme enterrés vivants dans la mine!

Le Tio se rassit sur son trône, silencieux et tranquille, comme si rien ne s'était passé. Il prit un air souriant et se transforma à nouveau en statue de grès et de quartz.

Le mineur, enivré d'alcool et de rage, leva la masse qu'il avait à la main et le frappa avec conviction, cherchant à le réduire en poussière.

Le corps du Tio s'évapora en étincelles.

Une fois l'incident passé, tandis que le calme revenait et que les mineurs se réjouissaient de ce courage, on entendit la voix du Tio, riant aux éclats dans le fond de la galerie.

Lorsque je m'éveillai, le Tio était debout à côté de mon lit, me regardant intensément, comme pour me dire: « Me voilà, bien vivant et frétillant». Plusieurs idées me traversèrent l'esprit et mon cœur palpita avec une vitesse sauvage. Je peux jurer que sa présence physique, au lieu de soulager mon état d'âme, me provoqua une frayeur immense. Mais il n'y a rien à faire, le Tio est un être immortel, car autant de fois ils le tuent, autant de fois il ressuscite comme un condamné qui réapparait parmi les vivants pour le simple plaisir de se moquer de ses adversaires.

-Et alors quoi?, demandai-je en me frottant les yeux.

-Alors c'est l'heure de se lever après avoir rechargé ses batteries, répondit-il, s'apprêtant à sortir de la chambre.

« Merde , me dis-je en moi-même. Et, juste après m'être levé avec une certaine paresse, je décidai de lui dire ce que jusqu'alors j'avais stratégiquement préféré taire:

-Je suis fatigué de supporter tes conneries. Tu as beau être immortel, je ne veux plus que tu apparaisses dans mes rêves...

Il s'arrêta sur le pas de la porte, retourna doucement la tête, me regarda en fronçant les sourcils et répliqua:

-Cesse de dire des sottises. Si j'apparais dans tes rêves c'est parce que je suis entré dans ton esprit et dans ton corps. Maintenant ferme ta bouche et mets ton pantalon, parce qu'il est l'heure de me servir le petit déjeuner comme l'esclave doit servir son maître.

Glossaire:
CALLAPO: m. Tronc d'arbre qui sert de marche dans la mine.
DIABLADA: f. Danse traditionnelle du Carnaval de Oruro qui met en scène le Diable.




Traduction: emilie beaudet / illustration: http://leougillou.blogspot.com/2008/12/potosi.html

lundi 2 mai 2011

Esprits fermés

Extrait de Sylvain Tesson, Petit traité sur l'immensité du monde, 2005.

"Le wanderer que je suis redeviendra humaniste lorsque cessera la suprématie du mâle. Il souffre à chaque instant de se heurter où qu'il porte ses pas (aux rares exceptions des pays scandinaves, de certaines vallées himalayennes et des jungles primaires) à la toute puissance de la testostérone. Il lui semble que l'humanité a érigé en divinité le mauvais chromosome. Il entend les cris de joie dans les maisons berbères saluant la naissance d'un garçon et des lamentations si c'est une fille. Il a traversé des villages dans les campagnes de Chine où les mères se pendent si elles enfantent une fille. Il a vu en Inde, où il manque cinquante millions de femmes, le visage des victimes qu'on a tenté de brûler. Il a lu dans le Coran -ce bégaiement paniqué de berger hagard- le mépris ruisselant de stupidité dans lequel est tenu la femme. Il sait qu'en Europe, autour de lui, sous ses yeux, la situation n'est pas plus heureuse. Dans les champs tropicaux qu'il a traversés, il n'a souvent vu que la silhouette des femmes affairées aux moissons pendant que les hommes s'adonnaient à cette occupation qui tient en haleine, chaque jour des milliards d'entre eux: suivre l'ombre d'un arbre au fur et à mesure que le soleil se déplace dans le ciel. Dans des pays de sable et de soleil, il a partagé des dîners à la table du maître de maison pendant que la mère de famille se nourrissait par terre de ce qu'on lui laissait. Il a rencontré des familles composées de ptits garçons gras comme des poussahs entourés de fillettes aux côtes saillantes."


Cet extrait est suffisant. Je vous passe d'autres relevés d'anecdote sur des barbus mysogynes...

Je savais déjà que Poussin et Tesson, nos deux explorateurs, n'hésitaient jamais à nous raconter leur messe de départ, la bénédiction de leurs byciclettes et d'autres références permanentes à Dieu et à la Bible. Cet extrait là est donc la cerise sur le gâteau. Attention, je ne nie pas la vérité, évidemment les femmes sont maltraitées dans de nombreux pays. Seulement voilà, il se trouve que nos aventuriers, à qui je ne retire pas pour autant toute mon admiration pour leurs différents périples, ont la plupart du temps traversé des pays musulmans. Or comment leur accorder encore toute notre sympathie lorsque ces voyageurs des temps modernes se permettent des jugements aussi brutaux, orientés, méprisants envers les peuples qu'ils ont pourtant rencontrés. Effectivement, comme le dit Tesson dans la suite de l'extrait, ce dégoût ressenti le pousse à devenir solitaire et à ne plus autant rechercher la compagnie des autochtones. C'est là qu'on se dit que, définitivement, les barrières sont dans la tête. J'avoue, dès le livre précédent, les multiples références à la Bible commençaient à me courir sur les nerfs, cherchant encore l'utilité de la mention; mais là, vraiment, la petite phrase sur le Coran est tellement incroyable pour des gens qui se disent ouverts que je ne sais pas si j'ai encore envie d'ouvrir leurs pages. Je passe. Sans doute tous les voyageurs n'ont pas la même étroitesse d'esprit. Inch'Allah...