mardi 30 mars 2010

Ernesto Cavour et le charango bolivien - Victor Montoya

Le charango est le descendant de la vihuela* espagnole, arrivée sur les terres de l’Amérique Métisse dans les mains des conquistadors au XVI ème siècle, au moment de l’apogée des mines d’argent du légendaire Cerro Rico de Potosi, là où les gentilshommes de cape et d’épée, les truands, bohémiens et autres troubadours, offraient des sérénades nocturnes aux femmes de noble lignage. Avec le temps, tel un aventurier raté en quête de célébrité et de fortune, la vihuela est abandonnée à son sort, jusqu’à ce qu’elle tombe entre les mains des métisses et des indigènes, lesquels n’hésitent pas à la transformer en charango à force de la vêtir et de la revêtir, comme dit Ernesto Cavour, « avec du bois récupéré sur des caisses de munitions qui arrivaient dans les mines de Potosi, des bidons d’alcool, ou encore des tutumas au goût de chicha et de désespoir ». Par la suite, il acquiert une personnalité particulière, tant par la forme que par le son, et devient l’expression culturelle la plus authentique du sentiment autochtone.

Bien que certains ne le croient pas ni ne l’acceptent, le berceau du charango se trouve sur l’altiplano bolivien, où sa voix souffle comme le vent entre les herbes sauvages et où ses mélodies s’égrènent comme des cantutas sur les pics des cordillères andines. Il n’est pas rare qu’un charango bien construit soit une véritable œuvre d’art et un instrument qui, lorsqu’on touche ses cordes de tripes, de métal ou de plastique, émet un son jaillissant de manière si pure et si harmonieuse, qu’aucune voix terrestre ne peut l’égaler ou le dépasser.

Le charanguiste bolivien, entièrement dévoué à son travail et donnant libre cours à son imagination, essaie de faire que cet objet aux cinq cordes doubles, caisse voûtée et silhouette féminine, sonne plus fort que la mandoline, le théorbe, le balalaïka et d’autres instruments qui lui envient la variété et la puissance de ses sons. C’est ainsi que, depuis les années 30 du XX ème siècle, le maître Mauro Nuñez, inspiré par les instruments à cordes des orchestres de chambre baroques et par quatre instruments à cordes traditionnels boliviens, donna naissance à toute une famille de charangos : soprano, ténor, baryton et basse.

Le charanguiste, dans son désir de conserver la tradition folklorique et le savoir ancestral, travaille avec des matières adéquates, jusqu’à ce que l’instrument, pas à pas, prenne forme entre ses mains, avec ses particularités propres au patrimoine culturel bolivien, comme le sont les charangos « Khirkis », dont les caisses de résonance sont faites à partir d’une carapace de tatou, de cet animal hirsute qui donna sa vie pour l’art et la musique. Ce n’est pas un hasard si le poète Oscar Alfaro dit dans ses vers : « Quand mourut don Quirquincho / il léga son corps et son âme / comme preuve de tendresse / à l’indien de notre race / Il le prit dans ses mains / et lui redonna vie / dans le corps d’un charango / et une âme de mélodie… ».

Sa face faite de naranjillo, de cèdre ou de saule, possède une petite bouche ronde avec laquelle il rit, chante, crie, pleure et gémit, au rythme du cœur de celui qui fait vibrer ses cordes et caresse ses courbes. C’est ainsi que le charango se comporte merveilleusement bien entre les mains de Ernesto Cavour qui, le traitant avec confiance et tendresse, lui dit : « Mon petit, mon enfant, llok’alla, bandit, vagabond ». Cavour sait que cet instrument, traversé de cordes de part en part, n’est pas un bois mort, mais un bois palpitant, c’est pourquoi il y tient comme à la prunelle de ses yeux, l’enveloppe dans un aguayo, le protège sous son poncho ou le laisse dans son étui de cuir, non seulement pour éviter qu’il ne s’abîme ou se désaccorde, mais aussi pour éviter qu’il ne séduise un autre maître.

De même, il sait que dominer un charango est plus difficile que de dompter un cheval sauvage. Ce n’est pas en vain s’il lui dit : « Combien penseront te dominer, quand c’est toi qui nous domines ». Evidemment, il n’est pas facile de traiter avec le charango, qui par ailleurs est jaloux et trompeur avec celui qui le caresse jusqu’à l’embêter plus que de raison, comme s’il s’agissait d’un objet quelconque. Non monsieur ! Pour votre gouverne, sachez que le charango, dont les cordes communiquent les vibrations de son âme, est si authentique qu’il ne chante et ne pleure qu’entre les mains de celui qui s’en approche avec une affection sincère, par sentiment et non par vantardise. Mon Dieu ! Si le charango pouvait parler d’une voix humaine, il nous raconterait aussi, entre arpèges et accords, les aventures et mésaventures de sa vie.

Sur cette photographie, prise à un endroit précis de la ville de La Paz, Ernesto Cavour pose avec un chapeau, un poncho et une écharpe autour du cou, avec l’allure de quelqu’un qui détient tous les secrets de son beau et singulier instrument, qui ici apparaît de manière impeccable sur sa poitrine, la caisse de résonance brune sous son bras droit et le diapason dans sa main gauche. Ce virtuose du charango, aux mains agiles et à la profonde émotion interprétative, a tenté de démontrer sur les plus grandes scènes du monde que le charango est plus qu’un simple instrument d’accompagnement.

De la conversation entre ses doigts et les cordes naissent des huayños, khaluyos, carnavalitos, cuecas, trotes, bailecitos, ch’untunquis, pasacalles et une infinité de douces mélodies que seul ce géant de la musique bolivienne est capable d’arracher à la bouche du charango, suivant les traces du maître Mauro Nuñez, ce remarquable musicologue et instrumentiste de la ville de Sucre qui apprit à faire naître des charangos pour ensuite converser avec eux d’égal à égal, avec l’humilité et la simplicité de l’indien qui lui donna vie et prit soin de lui, dans les bons comme dans les mauvais moments, comme son fils le plus petit et le plus cher.

Avec ce même instrument avec lequel il chante la vie, la mort, l’amour et le désamour, ce célèbre charanguiste, reconnu comme un interprète aux multiples talents, imite les bruits de la nature et la voix des animaux. Il n’est pas rare que son charango, accordé avec une ouïe de chat, émette le chant des oiseaux, le braiement des ânes, le beuglement des moutons, le meuglement des vaches, le rugissement des lions, le hennissement des chevaux, le sifflet de la locomotive, la sirène d’un bateau, le souffle du vent et, à la demande, jusqu’au gémissement de la femme aimée.

Le charanguiste bolivien ne se lasse pas d’inventer des instruments chaque fois plus éblouissants et sophistiqués. La fantaisie s’échappe de ses mains et l’amour de son travail est magnifié par des artistes comme Ernesto Cavour qui, grâce à son engagement social, les porte en bandoulière tel un fusil là où le public l’attend. Parfois, en voyant ses compatriotes dispersés de par le vaste monde, il verse des larmes au rythme de son charango ; d’autres fois, disposé à mettre en avant son esprit critique, il joue sur des scènes où son charango interprète la clameur populaire. Sa présence ne passe pas inaperçue, même lorsque les assemblées se transforment en chaos. Il est arrivé certaines fois que, dès son entrée sur la scène où les huées retentissaient, couvrant le discours incendiaire des orateurs, la foule reste suspendue dans le silence, comme frappée par sa présence. Cavour ne dit pas « cette bouche est la mienne », mais son charango dans les mains, comme un arbitre le sifflet à la bouche, il mit fin à la plaisanterie et rendit au silence ce qui est au silence.

Il n’y a aucun doute, ce gourou de la musique andine, qui apprit à converser avec le charango à l’âge de douze ans et se plaça avec une autorité naturelle au-dessus de tous les joueurs d’instruments à cordes, ne cessera jamais de nous surprendre avec sa sensibilité et son professionnalisme, car il est non seulement capable de transformer en musique tout ce qu’il touche, mais aussi de démontrer qu’un artiste peut donner sa vie pour l’art, et offrir son cœur pour le transformer en mélodies.

Ernesto Cavour

Paris - mai 2009- Festival du Charango

(Photo:Luis Chugar)


Glossaire :
Aguayo : tissage traditionnel
Cantuta : fleur typique des Andes
Chicha : alccol de maïs fermenté
Khirki: Apre, rugueux
Llok’alla : garçon indigène. Terme fréquemment utilisé de manière péjorative.
Naranjillo: Arbre de la famille de l’oranger
Tutuma : récipient en bois dans lequel on boit la chicha
Vihuela : instrument à cordes de la même famille que la guitare.

(Traduction:Emilie Beaudet)

dimanche 28 mars 2010

Le poids du costume

Je ne m'étais jamais vraiment posé la question du poids du costume dans la culture andine. Le costume, celui de la danse, celui que l'on porte lors du Carnaval ou d'autres fêtes, souvent à connotation religieuse. Que ce soit celui de la Morenada, le masque de la Diablada ou les mutliples jupons du Waka Tokoris, ces fameux costumes ont un poids, propre, figuré, certain. En cherchant justement des explications sur la danse du Waka Tokoris, j'ai appris qu'une célèbre danseuse de La Paz, à force de faire tournoyer ses 10 kilos de jupons, s'est "disloqué" la hanche. Mais ce n'est rien, laisse-t-elle entendre, à côté de la fierté de danser, que personne ne pourra jamais lui enlever. Porter le costume serait donc un sacerdoce? On sait déjà qu'un danseur de Morenada ne peut pas du jour au lendemain rendre son habit et changer de statut pour devenir un danseur de Diablada. J'emploie le mot statut, c'est presque de cela dont on parle. La danse, c'est du sérieux. C'est une vocation, un engagement social et spirituel, jusqu'à la mort, "hasta la muerte". Souvent, on fait partie d'une "fraternidad", d'un groupe de danse, par dévotion, par exemple à la Vierge de la Mine, lors du Carnaval de Oruro. A son tour, le danseur est alors respecté, voir même vénéré, pour sa fidélité, sa performance physique aussi.
Un masque de la Diablada - Entrada de Urkupiña, Cochabamba, août 2007
(Photo:emi)
Car tous les costumes ont un poids, on y revient. Entre 20 et 30 kilos pour les différents étages de l'habit des Morenos, 10 kilos de jupons à faire tourner pour les danseuses de Waka Tokoris. Il faut souffrir pour être beau, pour rendre grâce à la Vierge, pour perpétuer ses traditions. Des traditions qu'on est fier d'afficher et de montrer au monde entier en ce qu'elle sont l'expression d'une culture qui a su résister à l'envahisseur, en tourner les attitudes et les coutumes en ridicule pour mieux affirmer sa propre vision du monde. Waka Tokoris toujours: une satire de la corrida espagnole et une mise en scène des paysannes vendeuses de lait. L'absurdité d'un combat entre l'homme et l'animal face à une cohabitation et une relation d'aide réciproque. Nous parlions de danser "jusqu'à la mort"; cela me fait penser au Danzaq, au Pérou, le danseur de ciseaux, qui lors de ses transes artisitiques s'enfile des aiguilles dans la chair et finit parfois, comme dans le conte de l'écrivain péruvien José Maria Arguedas, par mourir en dansant, en dansant jusqu'à la dernière seconde. Vraiment le costume dans les Andes a un poids. On ne le porte pas pour rien, pas n'importe comment, pas à la légère. Pratiquement, on "prend l'habit".

vendredi 19 mars 2010

Les ordures au centre du débat

En Bolivie, les élections municipales approchent, et elles vont parfois se jouer sur des sujets très concrets. C'est le cas à Cochabamba, où les différents prétendants sont notamment attendus sur le sort qu'ils réservent à la décharge de K'ara K'ara, située dans la banlieue de la ville. Chacun y va de sa proposition, cherchant ainsi à apporter une solution à ce problème épineux et relativement ancien.

La décharge de K'ara K'ara déborde, pollue, dérange. Installé au centre de territoires habités par d'anciennes communautés autochtones, ce gigantesque tas d'ordures ne fournit plus face aux arrivages constants de déchets. Les gens qui y travaillent, organisés en syndicats, trop nombreux, ne parviennent plus à tirer de bénéfices suffisants de ce travail pourtant épuisant et dangereux. Par ailleurs, l'urbanisation galopante fait que la ville de Cochabamba s'étend de plus en plus, jusqu'à cette zone de K'ara K'ara, encore vide de constructions il y a peu de temps. On a parlé de fermer la décharge ou de la délocaliser, ce qui a évidemment provoqué la peur et la colère chez les ramasseurs d'ordures qui perdraient ainsi leur seule activité. Pourtant, une solution doit rapidement être trouvée pour enrayer cette pollution toujours croissante.
Dans la bouche des candidats, le mot "recyclage" est celui qui apparaît le plus souvent, ainsi qu'une tendance à vouloir éduquer leurs concitoyens sur le tème de la protection de l'environnement. Seul le candidat du MNR avance l'idée d'une privatisation de la décharge, ce qui ne ferait que placer le problème entre les mains d'autres responsables que la mairie. Une manière de se débarrasser rapidement du problème et de ne plus en assumer les conséquences. La plupart des candidats ne reviennent pas sur l'idée du déplacement de la décharge vers le site de Arrumani. Pourtant, le Président du Comité de Défense de l'Environnement de Cochabamba affirme que déplacer le site de K'ara K'ara vers Arrumani ne ferait que déplacer le problème de la pollution d'un endroit à un autre et engendrerait la même situation dramatique pour les gens qui y travaillent. On imagine des migrations de populations, des jeunes soudain désoeuvrés et d'autres qui abandonneraient leurs communautés pour venir s'enterrer dans ce tas d'ordures. En ce qui concerne l'environnement, on sait que de toute façon l'assainissement des terrains ayant hébergé la décharge s'étalerait sur plusieurs dizaines d'années. En résumé, le problème reste épineux, les solutions proposées peu satisfaisantes et les candidats surtout motivés par leur désir politique d'être élu le 4 avril...

La décharge de K'ara K'ara

(Photo:emi)

samedi 13 mars 2010

Jean Ferrat

"... que la montagne est belle..."
Vu des cieux, ce doit être vachement mieux...

Un nom

Un nom. Un nom d'auteur espagnol. Un nom comme ça, balancé pendant un cours de littérature. Un nom écrit vite fait sur une feuille et donné comme un grand, un des maîtres, l'un de ceux qu'il faut lire. Et puis le temps, d'autres noms, d'autres grands, d'autres lectures. De lui, rien. Jusqu'à ce fameux concours. "Cinco horas con Mario", cette oeuvre étrange entre roman et monologue; une femme qui veille son mari décédé, qui lui dit tout ce qui lui passe par la tête, se confie, lui balance des vérités, délire, regrette, accuse, aime. Oeuvre en apparence décousue, puisque à l'université forcément découpée, torturée, comme dirait Gelman. Le grand défaut des études de littérature, finalement, c'est de nous donner la lecture en horreur. Avec le recul des années, une impression de cohérence, comme on s'éloigne d'un tableau pour ne plus se fixer sur les détails, pour avoir une vue d'ensemble. "Cinco horas con Mario", ma seule rencontre avec Miguel Delibes, finalement pas si manquée que cela. Lui, le grand, le nom sur ma copie d'étudiante, est parti hier.

jeudi 11 mars 2010

C'est exactement ça!

Damaris, chanteuse péruvienne. Une reprise musclée du titre de Los Kjarkas. Un coup de jeune et de possible... Ceux qui savent comprendront!

mercredi 10 mars 2010

Derniers regards...

Les fameux géants blancs... Illimani... vus de El Alto, aéroport, derniers regards...

(Photos:emi)
A ce propos je lance un grand quizz: qui est le personnage aux cheveux blancs sur la première photo? Illampu? Huayna Potosi? Si vous me dites, j'vous paie des prunes!

La photo manquante

LA photo qui manque, c'est celle de Cochabamba. Mais pourquoi pas de photo? Et bien à cette question je vous répondrai par une autre: cela vous arrive souvent, à vous, de photographier votre boulangère ou la Mairie de votre village? Non, évidemment. Et bien pour moi c'est pareil. Quand je suis à Cochabamba, je suis chez moi, et c'est tellement naturel que je ne pense pas une seconde, je ne me dis pas une seule fois: "Tiens, ça ferait une bonne photo ça!". Je comprends que vous soyez déçus. Moi aussi en fait, je me déçois un peu. C'est vrai, il y aurait tant de belles images à capturer pour les regarder au retour... Mais comme certains n'aiment pas les fleurs coupées, j'aime mieux sentir battre le coeur de ma ville plutôt que d'en imaginer les mouvements sur une photo, c'est ainsi. Parce qu'à chaque fois que je ferme les yeux, je vois...
La cancha. Ce marché couvert labirynthique, où il fait une chaleur moite et sombre et où les odeurs, bonnes ou mauvaises, se diffusent à leur aise. Une vendeuse derrière son étal de boucherie. Une femme à la Botero, toute ronde, son tablier opprimant sa grosse taille. Elle trône sur une vieille chaise. Devant elle, des escalopes, des côtes et des côtelettes, et, dans une bassine bleue, la tête d'un mouton tirant la langue au passant. On passe...
Sur le trottoir. Une femme et son enfant, pieds nus, pieds bleus ayant connu le froid de la rue, yeux noirs, durs et fatigués. Ils sont de Potosi. Ils font la manche.
La place. Les pigeons comme une armée qui s'envolent vers la cathédrale. Leur ombre sur le sol. Le soleil en haut qui éblouit.
Le cimetière, dans la Zone Sud. Les mausolées immenses comme des palais pour les morts. Plus loin, les niches des pauvres. La grand-mère, le fils, toute la famille, la fille sur une échelle pour aller changer les fleurs du grand-père. Les fleurs, partout, l'ombre des arbres, la promenade du dimanche. La paix.
Charanguista et sa petite soeur. "Cholita Marina". Le petit joue à merveille sur son charango rustique. La petite, elle, prend des allures de grande et danse, danse. Zapateado!
Il en a des centaines, comme ça, des images gravées seulement dans la mémoire, comme des repères, toutes ces choses qu'on emporte avec soi partout où on va, plus fidèles que des souvenirs, qui nous suivent comme des ombres, qui nous envahissent comme la fumée de la q'oa, qui nous remplissent et nous nourissent. La photo, pour la voir, il suffit de regarder dans les yeux de ceux qui l'ont vécue...

mardi 9 mars 2010

Copacabana beach

Et là vous vous dites: "Elle va nous les lâcher, oui ou non, ses impressions sur le fameux lac Titicaca?"
Et bien finalement, après ce long suspense insoutenable, le voilà, mon petit récit.
Mise en situation. Pluie sur le lac Titicaca. On ne voit pas l'horizon. Les îles se font désirer.
Nous sommes à Copacabana, charmante station balnéaire remplie de touristes à rastas et idéaux soixantuitesque. L'odeur d'iode est trompeuse, on se croirait à Nice ou à Deauville, avec ce grand hôtel face à la mer.












Parce que le Lac Titicaca, ma parole, c'est une mer! Il apparaît de chaque côté de la route qui mène à Tiquina, ressemble à un océan sans fin. Parfois, il prend des allures de Méditerranée, avec ses fleurs et ses pins sur la rive. D'autres fois, avec ses collines verdoyantes et ses chalets, on dirait le Lac Léman. Tempête sur les eaux, la traversée du détroit de Tiquina est folklorique, dans ce rafiot bondé et fumant comme un tracteur.


Copacabana, la ville de la Vierge du même nom. Celle qui serait apparue à l'indien Tito Yupanqui. Celle là même dont la statue aurait été taillée dans le bois de l'arbre qui avait reçu son image, sculptée à Potosi, puis rappatriée de La Paz à Copacabana. Je sais, "prohibido sacar fotos", mais on ne voit pas ça tous les jours, et puis c'était pour vous, évidemment! Ce retable gigantesque, recouvert d'or et d'argent, brillant de mille feux dans cette église de village. Croyant ou pas, cela force le respect. Même si, déformation d'autochtone averti, on ne peux s'empêcher de penser au nombre de sacrifiés dans les mines de Potosi sur l'autel de l'évangélisation. Tant de morts, pour tant d'or et de lumière. Ce qui est fait est fait, l'oeuvre architecturale, elle, n'en demeure pas moins admirable. Tout comme ces portes en bois sculptées de bas reliefs. Et la blancheur éblouissante de la construction, avec en point de mire les diamants du lac Titicaca sous le soleil revenu.

Copacabana, la cité de tous les dieux. Il paraît que les indigènes, lorsqu'on leur a demandé de construire le sanctuaire, en leur disant que la Vierge, au fond, c'est la mère, donc c'est comme la Pachamama, auraient enterré à ses pieds, logiquement, tous les serpents, crapauds et autres petits animaux chers à la Terre Mère. On dit que les curés auraient tout fait recommencer... Les curés, comme ils disent, ceux là même qui se faisaient de gras bénéfices avec leur "refuge", en fait un hôtel plusieurs étoiles pour le tourisme religieux. Renversement tout à fait actuel, les autochtones ont repris l'année dernière le pouvoir sur le lieu en disant que les premiers, les originaux, ce sont eux, et qu'avant l'apparition de la Vierge, ils étaient là, leurs dieux ancestraux. Alors les curés ont été mis à la porte.
Drôle de région que celle du Titicaca, une terre totalement étrangère pour qui connaît Cochabamba où, au contraire, tout ce petit peuple de dieux se mélange tranquillement. Ici, c'est un peu plus ardu, plus extrême...

(Photos:emi)

Coups d'oeil

Les figuiers de barbarie poussent partout à Tarata


Porte de l'église de Copacabana



Le palais présidentiel de La Paz: le drapeau bolivien et la wiphala, un vent nouveau...


La fresque du mausolée du Mariscal Santa Cruz, La Paz


Boutique de El Alto


Aéroport de El Alto
(Photos:emi)

lundi 8 mars 2010

Le syndrome de Cochabamba

Pourquoi le retour est-il toujours difficile? Parce que vos plantes sont mortes pendant votre absence, que les moutons, eux, se sont multipliés, contrairement aux vivres qui elles, malheureusement, n'ont pas subi le même sort. Bref, le frigo est vide, l'appart est en désordre, pas moyen de défaire ces foutues valises qui ne demandent qu'à repartir. Il fait froid, les rues sont désertes, le ciel est gris et les gens aussi. Alors, fatalement, vous sombrez dans le syndrome du "là-bas-c'est-mieux", qui vous fait tout regarder d'une manière subjective:
- là-bas on est en tongs toute la journée
- là-bas il fait beau et chaud
- là-bas on ne porte pas de manteau
- là-bas les gens sont chaleureux
- là-bas on mange bien
- là-bas on n'est pas stressé
- là-bas on n'a pas d'horaires
- là-bas, patati, patata...
Evidemment, vos proches vont vite se lasser du refrain, cela peut même se conclure par un "t'as qu'à repartir!". Ce à quoi vous répondrez sûrement par "l'argent", "le travail", "ne pas repartir de zéro", des prétextes, que des prétextes.
Y a-t-il un remède à ce syndrome que les grands voyageurs connaissent bien? Vivre ici dans le même état d'esprit que là-bas? Cela ne dure que deux jours. Une fois que vous avez pris une bonne giglée de CO2 de bus parisien et que votre boulangère vous a servi sans même vous regarder, on déchante, forcément. Le fait est que, chez soi, on fait ce qu'on veut, et qu'on peux si on veux recréer une ambiance locale: manger de la quinoa à tous les repas, boire de la paceña et n'écouter que du Norte Potosi. Ah ah! Je ris! C'est toujours la réaction qu'on a lorsqu'on est touriste, de vouloir recréer ce petit paradis qu'on vient de quitter. Seulement lorsqu'on a dépassé ce stade et que les liens sont plus profonds, ce ne sont pas deux bols de quinoa qui vont remplacer ce qu'on a laissé là-bas.
Certains souffrent du syndrome de Stockholm, moi je refuse de me guérir du syndrome de Cochabamba. Vous aurez beau sourire, être excédés ou vous moquez ouvertement, je réaffirme ma souplesse et me complais dans ce grand écart entre ici et là-bas.

Tarata, t'arata


Tarata, t'ara, bouseux toi même! Tarata le village par excellence, peuplé de paysans bougons et de cholitas rebondies. T'ara, authentique, quechuiste, alcoolisée. Inondée aussi, et en même temps brûlée par le soleil.

Tarata, la ville des dictateurs, la ville de la chicha et du chorizo. Que dire de plus? Des maisons hors d'âge aux portes et aux fenêtres étonnantes, une jolie petite place comme on en voit dans beaucoup de villages, rien d'exceptionnel... Ah, si, sur la route, la Angostura, un gigantesque lac trouble bordé d'eucalyptus à la taille imressionnante. L'odeur des eucalyptus, ahhh... Mais quand même, rien ne vaut l'odeur du chicharron et du choricito. Et celle de la chicha qui bouillonne dans un chaudron, les fesses posées sur des charbons ardents? Pas mal non plus. Non, vraiment, Tarata n'a rien de renversant, mais il faut y aller quand même.

(Photos:emi)

dimanche 7 mars 2010

Qolke Thikas en Viña del Mar 2010


L'actualité musicale bolivienne de février se passait au Chili, au Festival de Viña del Mar, où se produisait le groupe féminin Qolke T'ikas. Certaines concurrentes ont trouvé la jupe trop courte et ont taxé le groupe de "chanteuses de chicheria". Pour ma part, j'aime beaucoup. Et vous?

La Paz, tu parles!

La première fois que je suis allée à La Paz, il y a quelques années, j'ai eu la sensation bizarre d'y être déjà passée, comme il nous arrive d'avoir l'étrange impression de revivre une scène qu'on aurait rêvée. Ensuite, ce ne furent que des rendez vous manqués. Mais le mystère de La Paz reste intact, comme celui des montagnes qui la surplombent.
La Paz, c'est d'abord El Alto, ce quartier populaire géant d'1 million d'habitants où aucun édifice n'est terminé et où aucune maison n'est digne de ce nom. El Alto, faubourg mal famé et peu accueillant, antichambre de la ville qui, vue de là-haut, n'est qu'une fourmilière de briques rouges.

Plus on s'en approche, plus on s'enfonce dans l'agglomération grouillante comme dans un chaudron, plus on se rend compte d'une chose: La Paz porte très mal son nom, car de paix, ici, il n'y en a que très peu. Les trufis bondés crachent dans les côtes une fumée noire, les paceños marchent rapidement, la tête baissée vers les pots d'échappement en série de ce traffic sans interruption. Alors, La Paz un jour de grève des transports, c'est comme une incroyable illusion, un arrêt sur images exceptionnellement reposant.
Vivre ici? Impossible! Trop de montées et de descentes, trop de bruit, d'agitation, de voitures, et pas assez de regards accueillants. L'aymara est renfermé et peu loquace, c'est ainsi.
Pourtant, La Paz est au fond séduisante. D'abord par les perspectives qu'elle permet d'envisager: les montagnes, Tiahuanacu, le Lac Titicaca, Copacabana... Des rêves d'enfant que nous avons tous faits. Ensuite parce qu'une journée de balade dans le quartier touristique, la rue Sagarnaga, la Linares, se transforme instantanément en une expédition dans la caverne d'Ali Baba.

La rue Linares


La Paz est faite ainsi, paradoxale et mystérieuse, à la fois laide et intrigante, rude et merveilleuse.

(Photos:emi)

samedi 6 mars 2010

Bonnes adresses

Comme l'aymara est aimable façon cactus (piquant au dehors, accueillant par la suite), voici deux bonnes, voir même très bonnes adresses à La Paz, qui vous éviteront de tourner en rond.
D'abord, un charmant hôtel, parce que sinon on peut trouver de tout, du pas cher du tout surtout, mais pas top du tout. Celui là est tout confort, très bien, pas cher, petit déjeuner compris et équipe sympathique. En plus, il est situé dans la fameuse rue Sagarnaga, ça ne s'invente pas!
Ensuite, le top du top, un resto centre ville, pas cher, entrées à volontées, cuisine simple mais raffinée, décor magnifique, service impécable. En plus, avec le patron vous pourrez parler musique, puisqu'il s'agit du guitariste du célèbre trio José,Joselo,Marcelo, qui formaient dans leur jeunesse los Jairitas. Que demande le peuple?

Retour en fanfare...

Je viens de rentrer à Paris, et, cela devient une habitude, mes valises ont préféré prolonger un peu le voyage avant d'arriver à destination. Résultat, je suis les bras croisés devant mon écran d'ordi en train de vous raconter des banalités parce que je n'ai rien d'autre à faire, et ce alors que je devrais être en train de déballer mes 40 kilos de linge sale et de cadeaux... C'est rageant. Pour vous aussi d'ailleurs, puisque évidemment mon disque dur et le cable de l'appareil photo sont dans les malles.
Bref, en résumé, ces deux semaines ont été courtes mais intenses, comme on dit. J'ai la tête peuplée de bons souvenirs et le coeur très gros d'avoir laissé trop de choses là-bas. Il va bien me falloir quelques jours de vacances pour atterrir, même si de toute façon je ne reviens jamais vraiment en entier. "Las valijas del alma", dirait Gelman...
Dès que mes valises seront là (priez pour elles), je vous promets de vous emmener à nouveau en voyage, parce que figurez vous que je n'ai pas tout dit!!

vendredi 5 mars 2010

Les géants blancs


Sur la route de La Paz à Copacabana, tout commence par un bus brinqueballant traversant à la manière d’un boiteux une rivière boueuse. Le pont est hors service, on fait donc avec les moyens du bord.
Ensuite, une fois l’obstacle passé, c’est la grande traversée de l’Altiplano. Une grande plaine vide, parsemée de petits groupes de maisons de briques, semblants de villages, dénuement et solitude.
Et soudain, au-dessus des insignifiantes montagnes pelées, dominant tout le paysage, surgissent les géants blancs : Illimani et Illampu, sommets minutieusement découpés, blancheur immaculée, vénérable sévérité. L’appareil photo est inaccessible. On voudrait emprisonner cette image pour en avoir la preuve, tellement on a du mal à croire qu’on se trouve face à face avec ces seigneurs si souvent fantasmés. On se dit que cette fameuse photo, le témoignage de cet instant qu’on nous jalousera ensuite, on l’obtiendra sur le chemin du retour.
Seulement au retour, des torrents de pluie inondent l’Altiplano. Les nuages étouffent la terre et les géants blancs se sont renfrognés dans leur impénétrable manteau gris. On a beau s’user les yeux à tenter de percer le mauvais temps, Illimani et Illampu se sont retirés derrière leur rideau de mystère.
Ce fut comme une apparition. Le rêve reste intact.