La montagne dans le biberon, le voyage dans les semelles et l'envie de lire, de danser et de goûter le monde !
mercredi 27 janvier 2010
Les chanteuses et le Président
lundi 25 janvier 2010
Combattant ouvrier sur la couverture d’un livre – Victor Montoya
Victor Siñani apparaît sur cette photographie avec le regard perdu dans la galerie et le visage illuminé par la lampe de son guardatojo ; il a les pommettes proéminentes et le nez expressif. La lettre « R », imprimée sur un pan de sa veste, peut très bien représenter l’abréviation du mot « Révolution ». Sa veste semble faite de daim et de velours côtelé, trop fine pour être utilisée dans le travail de la mine, mais ce détail lui importait certainement très peu, plus préoccupé qu’il était à assurer ce dur labeur qui lui permettait de gagner le pain pour nourrir ses enfants.
De par ses origines paysannes, c’était une personne qui affectionnait la vérité à l’état brut, même violente, et bien qu’il fût de caractère taciturne, il prenait un ton inattendu chaque fois qu’il transmettait ses idées. Il donnait la sensation d’en dire beaucoup en peu de mots. Victor Siñani avait la trempe des hommes de l’altiplano, avare de mots et méfiant avec les inconnus, et ne pouvait pas partager ses réflexions avec ceux qui ne partageaient pas sa réalité ou son temps.
Il fut un légendaire dirigeant du POR (Parti Ouvrier Révolutionnaire), non seulement parce qu’il sut rester fidèle à ses idées politiques, mais également parce qu’il sut se battre, fusil et dynamite à la main, contre les ennemis des ouvriers et des paysans. On raconte d’innombrables anecdotes sur ses exploits. Ce n’est pas par hasard si, en janvier 1960, il fut l’un de ceux qui dirigèrent la prise de la place principale de Huanuni, où les mineurs firent une entrée en trombe, comme une tornade entraînée par le vent. Ils se battirent comme des diables contre les carabiniers, jusqu’à les pousser à déserter leurs tranchées. Ainsi, quand les khoya locos commencent un combat, pas même le Christ ne les arrête.
Ce mineur au tempérament robuste affronta les dictatures militaires. Il survécut aux journées de Sora Sora, en 1964 ; au massacre de la Saint Jean, en 1967 ; au coup d’état militaire de Hugo Banzer, en 1971. Ses compagnons les plus proches relataient ses combats et son courage. «Victuquito, là où son regard se posait, les balles arrivaient précisément, il laissait hors d’état de nuire tous ceux qui lui tenaient tête». C'est-à-dire que ce qu’il ne pouvait résoudre avec des mots, il le résolvait avec des balles.
Au milieu de l’année 1976, après l’échec de la grève générale indéfinie décrétée par la Fédération Syndicale de Travailleurs Miniers de Bolivie (FSTMB), il fut poursuivi et arrêté dans la ville de Oruro, torturé puis emprisonné. Les hommes de main du gouvernement savaient que Victor Siñani avait une longue trajectoire comme dirigeant mineur- paysan. Il était l’un de leurs représentant les plus authentiques, celui qui demeurait fidèle aux intérêts de sa classe, sans transiger sur ses principes politiques ni être opportuniste comme les membres des syndicats jaunes. Il était convaincu que, malgré la fermeture des mines et les décrets antipopulaires de 1985, les mineurs montreraient le chemin de la lutte qui conduirait la nation opprimée à se libérer des coups de fouets de l’impérialisme et du despotisme de ses laquais autochtones. En attendant, reclus dans sa condition de relocalisé, il espérait avec une patience inébranlable que sonne l’heure du soulèvement final, habitué à se soumettre aux élans de « l’action directe des masses », conscient du fait que les travailleurs seraient les propres artisans de leur émancipation.
Victor Siñani était l’un de ces hommes qui, par nature, attirait l’attention des intellectuels petits bourgeois, qui tentaient de découvrir les secrets que dissimulait ce militant ouvrier, car tout en étant modelé par les coups de l’exploitation et de la misère, il avait atteint un haut de degré de conscience idéologique. En lui prit corps le programme de l’avant-garde révolutionnaire du prolétariat et en lui se résonnèrent comme en écho les cris de protestation des ouvriers et des paysans.
A l’occasion des fêtes on le voyait dans les chicherias de Llallagua, dans la rue Omiste (là où viennent se battre les buveurs courageux) ou dans la rue Ballivian. Il lui suffisait d’un charango pour faire danser les filles de Chayanta et de Pocoata qui, jupes plissées, mantilles sur les épaules et chapeaux sur le côté, battaient des mains pour que don Victor joue du charango au rythme des tonadas du Nord Potosi. Parfois on l’entendait chanter, de sa voix plaintive et douloureuse, le wayño dédié à son camarade César Lora : « Les mineurs pleurent du sang / pour la mort d’un ouvrier / c’était César Lora / assassiné à San Pedro / Pour le mineur pas de justice / pour le mineur pas de pardon / on tente plutôt de l’écraser / capitalistes sans vergogne… » Ensuite, le charango à la main et le guardatojo levé, on l’entendait crier : « Vive les mineurs, bordel ! Gloire à César Lora et Isaac Camacho !... »
Ce n’est pas un hasard si Victor Siñani, depuis le jour où il avait abandonné la campagne et s’était prolétarisé dans les mines, suivit les pas de César Lora, pour lequel il ressentait une franche admiration et un grand respect. Il croyait aveuglément en ses paroles et ses actes, car il savait qu’il parlait d’un savoir populaire et que ses paroles venaient du cœur, que ses actions allaient sur la voie de la conquête d’une société plus juste et égalitaire, où il n’existerait plus ni pleurs, ni cris, ni douleurs. Sa confiance envers le caudillo ouvrier était telle que, souvent, il voulut croire qu’il était le seul homme sur terre capable de rendre possible le fait que les travailleurs soient les maîtres absolus de leur destin, que les yeux des aveugles s’ouvrent, que les oreilles des sourds entendent et que la langue des pauvres se délie avec joie. Mais tous ces rêves se transformèrent en cauchemar, lorsque le 29 juillet 1965, les chacals du dictateur René Barrientos Ortuño, obéissant à des ordres directs de la Junte Militaire et de la CIA, assassinèrent César Lora, d’un tir dans le front et d’une phrase qui disait : « Mort aux subversifs ».
Je me souviens encore de ce brûlant après midi de l’été 1974, au cours duquel Victor Siñani, suivi par un groupe de mineurs, se rendit au cimetière de Llallagua, de l’autre côté de la plaine de Maria Barzola, dans le but de retirer les restes de César Lora, dans la niche duquel on pensait placer le cercueil de son défunt père. Victor Siñani, à peine arrivé au cimetière, dont les murs paraissaient se détacher de la colline jusqu’au fond de la rivière, ouvrit la niche avec un marteau et un couteau, tira vers lui la caisse de bois et nous demanda de nous éloigner du lieu parce qu’il avait peur que l’odeur fétide du cadavre, en état de décomposition, nous provoque une «maladie». Nous lui obéîmes, tandis qu’il restait là, seul, accroupi et disposé à ouvrir le cercueil avec la pointe de son couteau. Il se couvrit le nez avec sa veste et, en découvrant le cadavre de César Lora, dont le visage, dix ans après son assassinat, était toujours intact, se leva brusquement et dit : « Ce n’est pas encore le moment de déloger ce cadavre ». Ensuite, au bord des larmes, il cloua de nouveau le cercueil et referma la niche à chaux et à sable.
Victor Siñani (Victuquito pour les amis), tel qu’il apparaît sur cette photographie qui aujourd’hui constitue la couverture d’un livre, était un mineur de pure souche et un militant exemplaire, et, comme tout révolutionnaire, un insoumis qui ne se vend pas.
Glossaire :
« Race de bronze » : allusion à la couleur de peau des indigènes
Khoya locos : les fous de la mine. C’est ainsi que l’on nomme les mineurs
Syndicat jaunes : syndicats réactionnaires, choisis par le gouvernement ou la dictature
« Relocalisés » : mineurs licenciés des mines et jetés à la rue
Chicherias : locals où l’on vend de la chicha, la bière de maïs fermenté
dimanche 24 janvier 2010
Je craque!
Haïti, la suite...
Lundi, il y a une semaine. Petit mot dans les casiers de tous les collègues, qui disait à peu près cela: "Vous avez sûrement entendu parler du tremblement de terre à Haïti. Beaucoup d'associations appellent aux dons. Pour ma part je donne à cette association là (pas de pub, après j'explique!), si vous voulez, on peut faire un don commun, vous pouvez déposer des sous dans mon casier."
Une semaine... Rien, ou presque. J'exagère à peine. Nous sommes 60 profs à peu près, sur 60 personnes potentiellement adultes et humaines, 3 réponses.
"J'ai vu ton mot, je donne à la Croix Rouge! - Super!"
vendredi 22 janvier 2010
Grincements de dents
On y voit un Evo Morales assis sur son trône, coiffé d'une toque et d'un habit aux motifs traditionnels, des sandales aux pieds: l'image même de l'indigène, plutôt habitué à fouler les champs de pomme de terre que les couloirs des grandes universités. Un inculte, en somme, une image du folklore. Avec sa main droite, il porte à sa bouche une feuille de coca, comme par provocation. On sait sa volonté de réhabiliter la feuille ancestrale, de contrer les interdictions et les processus d'éradication lancés par Washington, pourtant l'un des premiers pays transformateurs et consommateurs de cocaïne, contrairement à la Bolivie. Dans sa main gauche, un fouet, symbole de la justice communautaire que Morales désire remettre au goût du jour, et que Javier, singeant les propos de l'opposition, s'empresse de réduire à une politique du bâton, une grave atteinte à la démocratie, représentée ici comme un vulgaire bout de papier que Evo Morales piétine sans vergogne. Voilà donc les caractéristiques du président bolivien vu par son opposition blanche, propriétaire ou corrompue: un indigène inculte, prônant l'utilisation massive de la drogue, un autocrate sans principes, un dictateur en puissance.
Tout ce dessin, toute cette habile manipulation de la réalité, pour protester contre la nouvelle mesure du gouvernement Morales selon laquelle la date du 22 janvier devra être un jour férié, en mémoire de la mort de l'Etat colonial et de la naissance d'un nouvel Etat plurinational. Une dangereuse négation des fondements historiques du pays, selon les détracteurs de Evo, de la part d'un gouvernement qui, nous l'avons encore vu lors de ces élections présidentielles, est pourtant approuvé par une grande majorité des boliviens. Que cette cérémonie prenne une ampleur démesurée, peut-être, mais de là à soupçonner Evo Morales de vouloir installer en Bolivie une dictature raciste, voir théocratique... L'opposition l'a décidément mauvaise.
mercredi 20 janvier 2010
La montagne était son domaine
Ce n'est pas un roman, et pourtant cela en a la cohérence. Ce n'est pas un récit autobiographique, pourtant on y apprend beaucoup de choses sur la personnalité, les idées et la sensibilité de l'auteur. Ce n'est pas un essai, mais on entrevoit des prises de positions fermes et précises sur des faits de société, des tendances, des évolutions, des comportements.
mercredi 13 janvier 2010
Tremblement de terre
mardi 5 janvier 2010
Qhencha
lundi 4 janvier 2010
Lhasa De Sela El Pajaro Live Napoli 2005
Je suis atterrée, au sens profond du terme, les deux pieds dans le même sabot, les semelles enfouies dans les sables mouvants. Elle m'avait mise sur le chemin, sa voix rauque avait fait vibrer tous mes rêves, ses vibrations avaient retourné mes tripes et projeté mes racines de l'autre côté de l'océan, avant même que j'y mette les pieds. Là-bas, j'en avais rêvé grâce à elle, j'avais brûlé toutes les étoiles de mes nuits à parcourir le Mexique, les Andes, les déserts et les montagnes. Plus tard, elle était toujours là quand j'ai franchi le cap et changé d'hémisphère. sa voix a cette fois accompagné en sourdine des rencontres humaines qui ont tissé des liens indestructibles entre mes rêves et la réalité. Lhasa, la fée de mon adolescence, celle qui s'était penchée sur les pages de mes livres pour en faire des voyages, s'est envolée. Le chemin sera sans doute plus rude à présent.