mercredi 27 janvier 2010

Les chanteuses et le Président

Est-ce bien sérieux? Est-ce vraiment la bonne idée de la décennie que de nommer une chanteuse, certes très populaire, au Ministère de la Culture? Je veux parler de Zulma Yugar. Imaginez-vous un peu, Mireille Matthieu minitre... Evo Morales avait déjà nommé Luzmila Carpio au poste d'Ambassadrice culturelle en France, il récidive donc dès le début de son deuxième mandat avec le choix de Zulma. Certes, toutes deux représentent le folklore, et par là même l'essence de la culture bolivienne. Mais ont-elles la formation nécessaire pour la mettre en valeur, la promouvoir dans le monde, la soutenir face aux différentes attaques d'une mondialisation qui veut uniformer les modes? Les artistes sont-ils les mieux placés pour défendre le patrimoine d'une nation? Et si nous allons plus loin, les artistes doivent-ils faire de la politique? Attention, loin de moi l'idée de dénigrer leurs talents. Luzmila comme Zulma sont de grandes chanteuses, de grandes ambassadrices de la musique bolivienne à travers le monde. Seulement, à vrai dire, il me semble que leur place est plus sur une scène que dans un bureau. Car un artiste diffuse sa culture, sa manière de penser, ses opinions (qui n'engagent que lui, mais qui sont écoutées par des millions de personnes) à travers son art. Qu'en est-il de cette liberté d'expression lorsqu'on la cantonne dans un bureau ministériel? Il faut dire que d'autres ont fait de grandes études pour gérer le genre de dossiers qu'un ministre est appelé à avoir entre les mains... D'accord, certains me diront que, par le passé, nous avons vu défiler en Bolivie des gens incapables de faire évoluer les choses, pourtant bardés de diplômes de grandes écoles de toutes sortes, parfois européennes, de grande renommée. L'habit ne fait pas le moine. Passons. Il demeure que, et ce n'est que mon avis, ce qu'un artiste peut encore le mieux faire, c'est justement ce pourquoi il est connu et reconnu, c'est-à-dire créer, s'exprimer, chanter, écrire, en toute liberté. Chacun à sa place, et les choses iront mieux; chacun à sa place, et les choses ne changeront jamais, diront d'autres... La question est épineuse!

lundi 25 janvier 2010

Combattant ouvrier sur la couverture d’un livre – Victor Montoya

Cette belle photographie est imprimée sur la couverture du livre « A l’intérieur de la mine » de René Poppe, lequel, après avoir travaillé pendant un temps à Siglo XX, comprit qu’il n’y avait pas de meilleur visage que celui de Victor Siñani pour personnifier l’ouvrier du sous-sol bolivien. En effet, cet homme fier de sa « race de bronze »*, en plus d’être mineur, était également un dirigeant paysan de la région de Norte Potosi, où il partageait les luttes et le sort de ses frères de classe, conscient que la terre appartient à celui qui la travaille, tout comme le blé fait le pain de celui qui le sème.

Victor Siñani apparaît sur cette photographie avec le regard perdu dans la galerie et le visage illuminé par la lampe de son guardatojo ; il a les pommettes proéminentes et le nez expressif. La lettre « R », imprimée sur un pan de sa veste, peut très bien représenter l’abréviation du mot « Révolution ». Sa veste semble faite de daim et de velours côtelé, trop fine pour être utilisée dans le travail de la mine, mais ce détail lui importait certainement très peu, plus préoccupé qu’il était à assurer ce dur labeur qui lui permettait de gagner le pain pour nourrir ses enfants.

De par ses origines paysannes, c’était une personne qui affectionnait la vérité à l’état brut, même violente, et bien qu’il fût de caractère taciturne, il prenait un ton inattendu chaque fois qu’il transmettait ses idées. Il donnait la sensation d’en dire beaucoup en peu de mots. Victor Siñani avait la trempe des hommes de l’altiplano, avare de mots et méfiant avec les inconnus, et ne pouvait pas partager ses réflexions avec ceux qui ne partageaient pas sa réalité ou son temps.

Il fut un légendaire dirigeant du POR (Parti Ouvrier Révolutionnaire), non seulement parce qu’il sut rester fidèle à ses idées politiques, mais également parce qu’il sut se battre, fusil et dynamite à la main, contre les ennemis des ouvriers et des paysans. On raconte d’innombrables anecdotes sur ses exploits. Ce n’est pas par hasard si, en janvier 1960, il fut l’un de ceux qui dirigèrent la prise de la place principale de Huanuni, où les mineurs firent une entrée en trombe, comme une tornade entraînée par le vent. Ils se battirent comme des diables contre les carabiniers, jusqu’à les pousser à déserter leurs tranchées. Ainsi, quand les khoya locos commencent un combat, pas même le Christ ne les arrête.

Ce mineur au tempérament robuste affronta les dictatures militaires. Il survécut aux journées de Sora Sora, en 1964 ; au massacre de la Saint Jean, en 1967 ; au coup d’état militaire de Hugo Banzer, en 1971. Ses compagnons les plus proches relataient ses combats et son courage. «Victuquito, là où son regard se posait, les balles arrivaient précisément, il laissait hors d’état de nuire tous ceux qui lui tenaient tête». C'est-à-dire que ce qu’il ne pouvait résoudre avec des mots, il le résolvait avec des balles.

Au milieu de l’année 1976, après l’échec de la grève générale indéfinie décrétée par la Fédération Syndicale de Travailleurs Miniers de Bolivie (FSTMB), il fut poursuivi et arrêté dans la ville de Oruro, torturé puis emprisonné. Les hommes de main du gouvernement savaient que Victor Siñani avait une longue trajectoire comme dirigeant mineur- paysan. Il était l’un de leurs représentant les plus authentiques, celui qui demeurait fidèle aux intérêts de sa classe, sans transiger sur ses principes politiques ni être opportuniste comme les membres des syndicats jaunes. Il était convaincu que, malgré la fermeture des mines et les décrets antipopulaires de 1985, les mineurs montreraient le chemin de la lutte qui conduirait la nation opprimée à se libérer des coups de fouets de l’impérialisme et du despotisme de ses laquais autochtones. En attendant, reclus dans sa condition de relocalisé, il espérait avec une patience inébranlable que sonne l’heure du soulèvement final, habitué à se soumettre aux élans de « l’action directe des masses », conscient du fait que les travailleurs seraient les propres artisans de leur émancipation.

Victor Siñani était l’un de ces hommes qui, par nature, attirait l’attention des intellectuels petits bourgeois, qui tentaient de découvrir les secrets que dissimulait ce militant ouvrier, car tout en étant modelé par les coups de l’exploitation et de la misère, il avait atteint un haut de degré de conscience idéologique. En lui prit corps le programme de l’avant-garde révolutionnaire du prolétariat et en lui se résonnèrent comme en écho les cris de protestation des ouvriers et des paysans.

A l’occasion des fêtes on le voyait dans les chicherias de Llallagua, dans la rue Omiste (là où viennent se battre les buveurs courageux) ou dans la rue Ballivian. Il lui suffisait d’un charango pour faire danser les filles de Chayanta et de Pocoata qui, jupes plissées, mantilles sur les épaules et chapeaux sur le côté, battaient des mains pour que don Victor joue du charango au rythme des tonadas du Nord Potosi. Parfois on l’entendait chanter, de sa voix plaintive et douloureuse, le wayño dédié à son camarade César Lora : « Les mineurs pleurent du sang / pour la mort d’un ouvrier / c’était César Lora / assassiné à San Pedro / Pour le mineur pas de justice / pour le mineur pas de pardon / on tente plutôt de l’écraser / capitalistes sans vergogne… » Ensuite, le charango à la main et le guardatojo levé, on l’entendait crier : « Vive les mineurs, bordel ! Gloire à César Lora et Isaac Camacho !... »

Ce n’est pas un hasard si Victor Siñani, depuis le jour où il avait abandonné la campagne et s’était prolétarisé dans les mines, suivit les pas de César Lora, pour lequel il ressentait une franche admiration et un grand respect. Il croyait aveuglément en ses paroles et ses actes, car il savait qu’il parlait d’un savoir populaire et que ses paroles venaient du cœur, que ses actions allaient sur la voie de la conquête d’une société plus juste et égalitaire, où il n’existerait plus ni pleurs, ni cris, ni douleurs. Sa confiance envers le caudillo ouvrier était telle que, souvent, il voulut croire qu’il était le seul homme sur terre capable de rendre possible le fait que les travailleurs soient les maîtres absolus de leur destin, que les yeux des aveugles s’ouvrent, que les oreilles des sourds entendent et que la langue des pauvres se délie avec joie. Mais tous ces rêves se transformèrent en cauchemar, lorsque le 29 juillet 1965, les chacals du dictateur René Barrientos Ortuño, obéissant à des ordres directs de la Junte Militaire et de la CIA, assassinèrent César Lora, d’un tir dans le front et d’une phrase qui disait : « Mort aux subversifs ».

Je me souviens encore de ce brûlant après midi de l’été 1974, au cours duquel Victor Siñani, suivi par un groupe de mineurs, se rendit au cimetière de Llallagua, de l’autre côté de la plaine de Maria Barzola, dans le but de retirer les restes de César Lora, dans la niche duquel on pensait placer le cercueil de son défunt père. Victor Siñani, à peine arrivé au cimetière, dont les murs paraissaient se détacher de la colline jusqu’au fond de la rivière, ouvrit la niche avec un marteau et un couteau, tira vers lui la caisse de bois et nous demanda de nous éloigner du lieu parce qu’il avait peur que l’odeur fétide du cadavre, en état de décomposition, nous provoque une «maladie». Nous lui obéîmes, tandis qu’il restait là, seul, accroupi et disposé à ouvrir le cercueil avec la pointe de son couteau. Il se couvrit le nez avec sa veste et, en découvrant le cadavre de César Lora, dont le visage, dix ans après son assassinat, était toujours intact, se leva brusquement et dit : « Ce n’est pas encore le moment de déloger ce cadavre ». Ensuite, au bord des larmes, il cloua de nouveau le cercueil et referma la niche à chaux et à sable.
Victor Siñani (Victuquito pour les amis), tel qu’il apparaît sur cette photographie qui aujourd’hui constitue la couverture d’un livre, était un mineur de pure souche et un militant exemplaire, et, comme tout révolutionnaire, un insoumis qui ne se vend pas.

Glossaire :
« Race de bronze » : allusion à la couleur de peau des indigènes
Guardatojo : casque des mineurs
Khoya locos : les fous de la mine. C’est ainsi que l’on nomme les mineurs
Syndicat jaunes : syndicats réactionnaires, choisis par le gouvernement ou la dictature
« Relocalisés » : mineurs licenciés des mines et jetés à la rue
Chicherias : locals où l’on vend de la chicha, la bière de maïs fermenté
Tonadas et wayños : rythmes musicaux folkloriques
Traduction: Emilie Beaudet

dimanche 24 janvier 2010

Je craque!

Allez, pour s'envoler un peu, de la musique, de la vraie, une voix, celle de Jorge Rojas, un ancien de Los Nocheros, le célèbre groupe argentin qu'il a quitté il y a quelques années pour mener une carrière solo, très réussie d'ailleurs, la preuve cette video:
Elle est un peu longue à charger, mais cela vaut le coup d'attendre, c'est juste magnifique. Et évidemment, je ne suis pas du tout objective!...
Une autre, avec Los Nocheros, parce que... parce que c'est lui, voilà!
Alors, vous allez sans doute me dire, la coiffure... Et bien vous savez quoi: je n'en ai rien à faire! D'ailleurs, ceux qui me connaissent verront le rapprochement!...

Haïti, la suite...

Résumé de l'épisode précédent....
Emi: "Tiens, je vais organiser une collecte pour Haïti au travail. Je vais encore sans doute m'en prendre plein la figure...
Bruno: Oui... Allez, tu y crois encore! Vas y, on ne sait jamais!"
Merci pour ces encouragements... On savait bien tous les deux, sous entendu, que je risquais une fois de plus d'être déçue. Mais ce que nous savions aussi, c'est que je ne me laisse pas aller comme ça, et que même si je n'ai pas la prétention de changer le monde, j'essaie de faire que le mien me ressemble. Alors je l'ai fait.
Lundi, il y a une semaine. Petit mot dans les casiers de tous les collègues, qui disait à peu près cela: "Vous avez sûrement entendu parler du tremblement de terre à Haïti. Beaucoup d'associations appellent aux dons. Pour ma part je donne à cette association là (pas de pub, après j'explique!), si vous voulez, on peut faire un don commun, vous pouvez déposer des sous dans mon casier."
Pas d'ordre dans ce mot, pas de pub (je citais une association, mais cela aurait très bien pu en être une autre (enfin pas n'importe laquelle non plus, j'en reparle!), aucune prétention ou leçon à donner, juste une suggestion.
Une semaine... Rien, ou presque. J'exagère à peine. Nous sommes 60 profs à peu près, sur 60 personnes potentiellement adultes et humaines, 3 réponses.
"J'ai vu ton mot, je donne à la Croix Rouge! - Super!"
"Oui, j'ai vu ton papier: j'ai déjà donné. - Ok, très bien!"
Et une réflexion marmonnée du genre:
"Je ne comprendrai jamais comment on peut donner autant de fric à des associations (sous entendu, qui s'en mettent plein les poches)".
Pas de réaction de ma part. Il y a quelques années, Saint Bernard, don Quichotte en puissance, j'aurais foncé dans le tas. Le temps a passé, je me suis calmée, j'ai grandi. C'est mieux pour ma santé.
Je préfère donc aujourd'hui écrire plutôt que de crier. Quelques réflexions. Premièrement, je vois que peu de professeurs, soit se sont sentis concernés, soit on été assez adultes et ouverts pour m'en parler, de ce petit mot, d'entamer une conversation. Rien. Le silence. Coupable peut-être, indifférent je le redoute, moqueur voir même.
J'imagine (parano?) des "pour qui elle se prend, elle veut sauver le monde?", des "n'importe quoi, elle fait de la pub!", ou des "mais elle nous donne des ordres! On est peut-être capable de décider tous seuls", peut-être même des "moi je m'en fous complètement, qu'ils se débrouillent", ou encore des "il y a tellement de gens qui donnent, moi ou un autre...", des "je n'ai pas les moyens" et pourquoi pas des "elle va garder l'argent pour se payer des vacances!"...
Alors, le coup des fins de mois difficiles, avec un salaire de 1500 à 2000 euros minimum, on ne me le fait pas. C'est juste écoeurant. Cependant je comprends que certains ne donnent plus, déçus pas les agissements malhonnêtes de certaines organisations, ou déçus justement par le peu de réaction des gens lorsqu'on les sollicite. Je me permets de citer le cas d'une amie qui a vécu une mésaventure du genre il y a quelques années: tremblement de terre (dans un pays peu touristique, pas bien vu au niveau international, c'est une précision importante), 80 000 morts, pas de médiatisation, presque un "c'est bien fait pour eux" qui plane dans les médias. Elle, qui se rend souvent dans ce pays, organise une collecte de dons qui iront directement à ceux qui en ont besoin (elle a les contacts): aucune réponse, pas de réaction, ou des critiques, des sarcasmes, des soupçons de détournement de fonds pour se payer... ses vacances! Finalement, avec le recul, elle n'a plus envie de se battre encore une fois pour si peu. Je peu comprendre.
Mais le coup des associations qui s'en mettent plein les poches, ça me reste en travers de la gorge, comme une arête. Certes, les grandes associations, les énormes ONG, brassent beaucoup d'argent. Mais elles sont sans doute les plus contrôlées, celles qui ont le plus de comptes à rendre justement, contrairement à d'autres... Qu'en est-il de ces petites associations qui, elles, sont beaucoup moins sous le feu des projecteurs? Et bien figurez-vous que (attention, je ne généralise pas, je constate et tire des conséquences à partir de quelques exemples pourtant très similaires) ces petites organisations qui jouent sur la corde sensible en présentant une image souvent exagérément dramatique de la réalité du pays ou de la région qu'elles sont censées aider, récoltent certes des sommes d'argent importantes de la part d'occidentaux culpabilisés et émotifs, mais ne rendent pas beaucoup de comptes concrets à ces fameux donateurs. Il faut le voir pour le croire. De l'artisanat fabriqué par des employés dévoués à l'association et à son ou sa président(e) vu(e) comme le Messie, payés au salaire minimum local (le moyen de s'assurer de leur fidélité en leur offrant du travail, de les maintenir enfermés dans un cercle vicieux qui fait que, en période de crise, on préfère un salaire faible plutôt que l'insécurité de la recherche d'un nouvel emploi), et revendu à des prix formidables en France ou en Europe.
Pour conclure sur le sujet, et ce n'est que mon avis, mieux vaut donner à de grandes ONG qui ont mis depuis des années les moyens en oeuvre pour être efficaces, médecins, psychologues, gestionnaires, que sur des petites associations pour lesquelles on ignore où passent les bénéfices importants que la vente d'objets ou les dons engendrent. Ou bien, faut-il sans doute aller sur le terrain, se rendre compte par soi-même, écouter et analyser les discours, racoleurs ou sincères, mettre en perspective les sommes manipulées et les améliorations concrètes, avant d'accorder sa confiance.
Et puis pour finir, cette fois vraiment, en parlant des profs, et sans doute des autres: au lieu de refaire le monde autour de la machine à café tous les lundis, il faudrait peut-être penser à se bouger pour changer les choses: chacun à sa mesure, parce qu'un détail, c'est déjà parfois beaucoup...

vendredi 22 janvier 2010

Grincements de dents

Au moment de la cérémonie d'investiture du président Evo Morales, qui commence là son deuxième mandat à la tête de la Bolivie, des voix s'élèvent pour discréditer cette tendance à mettre en avant les rituels indigènes et pour les caricaturer, les qualifiant même de dérives dangereuses.

Il est vrai que, comme la première fois, Evo Morales a fait organiser une cérémonie grandiose dans les ruines historiques et hautement symbolique de l'histoire du pays qui forment le site de Tiahuanacu. Debout devant la grande porte du temple de Kalasasaya, les amautas, les anciens, ont désigné le président en exercice comme le guide de tout un peuple, et par delà les frontières, de toute l'Amérique indigène jusque là opprimée. C'est la fin de l'Etat colonial qui est proclamée, ainsi que la naissance d'un nouvel Etat plurinational. Et l'opposition de sauter sur l'occasion, en témoigne ce dessin de Javier paru aujourd'hui dans le journal Opinion de Cochabamba:

On y voit un Evo Morales assis sur son trône, coiffé d'une toque et d'un habit aux motifs traditionnels, des sandales aux pieds: l'image même de l'indigène, plutôt habitué à fouler les champs de pomme de terre que les couloirs des grandes universités. Un inculte, en somme, une image du folklore. Avec sa main droite, il porte à sa bouche une feuille de coca, comme par provocation. On sait sa volonté de réhabiliter la feuille ancestrale, de contrer les interdictions et les processus d'éradication lancés par Washington, pourtant l'un des premiers pays transformateurs et consommateurs de cocaïne, contrairement à la Bolivie. Dans sa main gauche, un fouet, symbole de la justice communautaire que Morales désire remettre au goût du jour, et que Javier, singeant les propos de l'opposition, s'empresse de réduire à une politique du bâton, une grave atteinte à la démocratie, représentée ici comme un vulgaire bout de papier que Evo Morales piétine sans vergogne. Voilà donc les caractéristiques du président bolivien vu par son opposition blanche, propriétaire ou corrompue: un indigène inculte, prônant l'utilisation massive de la drogue, un autocrate sans principes, un dictateur en puissance.
Tout ce dessin, toute cette habile manipulation de la réalité, pour protester contre la nouvelle mesure du gouvernement Morales selon laquelle la date du 22 janvier devra être un jour férié, en mémoire de la mort de l'Etat colonial et de la naissance d'un nouvel Etat plurinational. Une dangereuse négation des fondements historiques du pays, selon les détracteurs de Evo, de la part d'un gouvernement qui, nous l'avons encore vu lors de ces élections présidentielles, est pourtant approuvé par une grande majorité des boliviens. Que cette cérémonie prenne une ampleur démesurée, peut-être, mais de là à soupçonner Evo Morales de vouloir installer en Bolivie une dictature raciste, voir théocratique... L'opposition l'a décidément mauvaise.

mercredi 20 janvier 2010

La montagne était son domaine

Gaston Rébuffat, La montagne est mon domaine, 1997.
Ce n'est pas un roman, et pourtant cela en a la cohérence. Ce n'est pas un récit autobiographique, pourtant on y apprend beaucoup de choses sur la personnalité, les idées et la sensibilité de l'auteur. Ce n'est pas un essai, mais on entrevoit des prises de positions fermes et précises sur des faits de société, des tendances, des évolutions, des comportements.
Ce recueil de textes de l'alpiniste et écrivain Gaston Rébuffat, c'est sa femme qui l'a composé, avec les écrits qui, selon elle, représentaient le mieux ce qu'était ce grand homme. Simple, passionné, depuis son enfances dans les Calanques et ses premières ascensions, cette envie de se perdre dans la montagne, d'y passer sa vie. Un homme passionné aussi par son métier de guide, qu'il a toujours fait avec l'envie de transmettre et de partager. De ces années passées à parcourir les sommets, Rébuffat nous adresse des leçons, de montagne, et de vie. Loin de lui l'idée de grimper pour le risque, pour l'adrénaline des choses défendues. La sécurité, la lucidité avant tout. Cependant, il nous apprend que la montagne se mérite, que souffrir fait aussi partie du jeu, qu'une fois les limites atteintes, l'homme regarde le paysage, les choses, le monde, d'un oeil neuf. Car Rébuffat ne nous parle pas que des hommes de la montagne. Il nous parle aussi de l'Homme, de sa nature à vouloir tout contrôler, tout dominer, et du plaisir rassurant qu'il a, lui, à se sentir dépourvu et impuissant face aux forces de la nature. Une nature qu'il défend corps et âme, prenant l'exemple des parcs nationaux qui, si on les conserve, resteront les traces de cette nature insoumise et sauvage, une fois que l'homme aura tout détruit de son environnement. Et l'auteur ne prêche pas pour sa paroisse. Il est amoureux des Alpes, certes, il en est l'enfant. Mais il nous décrit aussi, modestement et sincèrement, ses expéditions en Himalaya, où il a suivi ses maîtres, ses "guides", ses voyages aux Sahara et son admiration devant la diversité du désert.
Ce livre s'adresse à tous les amateurs de montagne, qu'ils soient guides, grands randonneurs, ou simples marcheurs, qui seront également touchés par les propos généreux, sages et passionnés de Gaston Rébuffat, un homme "toujours en marche", tel qu'il se décrivait, toujours désireux de découvrir de nouveaux horizons. Il nous laisse une phrase, comme un élan.
"Là où il y a une volonté, il y a un chemin".

mercredi 13 janvier 2010

Tremblement de terre

Haïti. Je ne connais pas ce pays, je n'ai pas d'affinités particulières avec sa culture ou avec ses habitants, n'y suis j'amais allée, ne sais que ce qu'en disent les journaux, guerre et pauvreté. Pourtant ce tremblement de terre, une nouvelle catastrophe, les images qu'on nous en montre et l'idée que cela aurait très bien pu nous arriver, me touchent terriblement. J'imagine une éternelle minute de cauchemar, l'apocalypse puis le néant, la recherche des proches ou l'absence de nouvelles d'eux, les visions d'horreur et le sentiment d'impuissance, l'odeur de la mort qui rode et partout des scènes de désolation.
Pour le moment, les grandes associations n'ont pas encore toutes donné de consignes pour les dons. Je connais un peu ce milieu. Si vous voulez donner, ne le faites pas à n'importe qui. Il est important maintenant de se comporter en humains responsables. Trop d'associations détournent les fonds. Renseignez vous, puis donnez.

mardi 5 janvier 2010

Qhencha

Qhencha: en quechua, qui porte malheur, de mauvais augure, maudit. Comme les corbeaux, comme le Dakar aussi. Si ça continue comme ça, au lieu de faire une course de motos, de voitures ou de camions, on fera directement courir des corbillards. Enfin, comme dit Gérard Holtz: "Vive le sport!"

lundi 4 janvier 2010

Lhasa De Sela El Pajaro Live Napoli 2005


Je suis atterrée, au sens profond du terme, les deux pieds dans le même sabot, les semelles enfouies dans les sables mouvants. Elle m'avait mise sur le chemin, sa voix rauque avait fait vibrer tous mes rêves, ses vibrations avaient retourné mes tripes et projeté mes racines de l'autre côté de l'océan, avant même que j'y mette les pieds. Là-bas, j'en avais rêvé grâce à elle, j'avais brûlé toutes les étoiles de mes nuits à parcourir le Mexique, les Andes, les déserts et les montagnes. Plus tard, elle était toujours là quand j'ai franchi le cap et changé d'hémisphère. sa voix a cette fois accompagné en sourdine des rencontres humaines qui ont tissé des liens indestructibles entre mes rêves et la réalité. Lhasa, la fée de mon adolescence, celle qui s'était penchée sur les pages de mes livres pour en faire des voyages, s'est envolée. Le chemin sera sans doute plus rude à présent.