samedi 28 novembre 2009

EL TÍO DE LA MINA - Crónica de Víctor Montoya


Le texte illustrant la video est lu par l'auteur, Victor Montoya. Une traduction est à lire juste en dessous, dans le post précédent!

Le Tio de la Mine - Victor Montoya



Cher Tio* :

Sur cette photographie, prise à l’intérieur de la mine, ta petite statue d’argile se détache au milieu des offrandes que t’ont laissées les mineurs, qui, assis sur les callapos, ont fait le pijcheo devant toi pour te supplier de leur octroyer le filon d’étain le plus riche et pour que tu les protèges des dangers et des maladies. Les bouteilles d’eau de vie sont là pour apaiser ta soif et te rendre hommage ; mais également pour célébrer par une ch’alla la Pachamama, la divinité andine que l’on ne voit pas mais qui détient des richesses dans ses entrailles.

Si je te regarde de plus près, que j’étudie les détails de ton image, je vois que tu as le nez et la bouche noircis par la fumée des k’uyunas; les yeux ronds comme de petites billes de cristal, les bras légèrement fléchis et le corps recouvert de confettis et de serpentins. En réalité, si nous parlions correctement, nous dirions que tu as le visage plus défiguré que celui du Fantôme de l’Opéra et que le corps plus difforme que celui d’un monstre avec une queue et des cornes. C’est sans doute pour cela que tu vis, proscrit dans la zone la plus sombre et profonde de la mine, dont les galeries ne sont pas le royaume de Hadès ni l’enfer de Dante, mais plutôt un lieu ténébreux connu seulement des travailleurs du sous-sol, où les dévots te craignent plus que Dieu et où les superstitieux te vénèrent davantage que la Vierge de la Mine.

D’autre part, selon la version catholique, tu es l’ange céleste qui, pour t’être rebellé contre la volonté suprême de ton Créateur, as été condamné au châtiment éternel dans les flammes de l’enfer. Mais toi, à la fois bienfaisant et malfaisant, tu n’as même pas atteint les portes du Purgatoire ; tu as préféré t’amalgamer à la divinité Huari et au Supay de la mythologie andine, te faire appeler Thiula et t’enfoncer dans les profondeurs de la mine où, au milieu des ténèbres, tu as installé ton royaume et ton trône. Depuis, tu es le propriétaire du minerai et le maître des mineurs qui, dans une attitude de vénération soumise, te rendent hommage en entrant et en sortant de la mine, en t’offrant des feuilles de coca, des k’uyunas et des bouteilles d’eau de vie, sans aucune autre intention que celle de te manifester leur foi et leur attachement, ainsi que de pactiser avec toi dans un rituel miraculeux. Bien que tu soies un être ambivalent, mélange du Bien et du Mal, tu exerces une influence décisive sur la vie des habitants de l’Altiplano, là même où tu as osé opposer tes forces sataniques aux forces divines de Dieu.

A la veille du Carnaval, les mineurs procèdent à une ch’alla dans ta grotte, ornent ton cou de serpentins et jettent des poignées de confettis et de sucreries autour de ton trône, là où tu restes assis à les observer en train de regarder ton long pénis imposant en érection. Ensuite, tu te déguises en Lucifer et tu sors de la mine, heureux de pouvoir danser dans la fraternité des diables, boire les verres que t’offrent les gens, t’amouracher des demoiselles les plus belles qui, en l’honneur de ton épouse perverse (la Chinasupay), se déguisent en diablesses : bottes à talons hauts, jupes courtes, corsages vaporeux et vestes brodées de dessins de sauriens, d’arachnides et de batraciens. Les diablesses portent des masques aux yeux globuleux et aux longs cils, aux joues de grenat et aux lèvres sensuelles ; tellement sensuelles qu’en plus d’esquisser un sourire tentateur, elles laissent entrevoir une rangée de dents serties de pierres précieuses.

Tu danses au rythme des tambours et des cuivres des fanfares, en battant l’air derrière toi avec ta cape de velours et ton sceptre de maître, tandis que les diablesses, harcelées par les jukumaris et les mallkus, minaudent autour de l’Archange Saint Michel, en lui montrant leurs cuisses, dissimulant à peine leurs seins derrière leurs chevelures nattées.

Ton costume de Lucifer, qui semble fait de lumières et de rêves, est l’un des plus enviés du Carnaval de Oruro, où tout le monde te regarde et t’admire malgré une peur enfouie. Ta cape de velours, richement brodée de fil d’or et d’argent, est ornée de vipères, de lézards et de dragons ; tandis que ta tunique et ton plastron, parsemés de boutons, de paillettes et de petits miroirs, comportent des motifs ornés de pierres étincelantes ; tes bottes et tes gants ont des reliefs de crapauds, d’araignées et de scorpions ; quant aux foulards noués autour de ton cou, qui se confondent avec ta longue chevelure, ce sont des atours qui flottent dans le vent comme des gerbes de fleurs ; sur ton masque, déformé jusqu’à la limite de l’horreur, le nez est proéminent, les oreilles sont pointues et les dents féroces ; tes yeux, grands et globuleux comme ceux d’un caméléon, jettent des couleurs vives le jour et des lumières phosphorescentes la nuit. Et pour répandre la peur et le respect parmi tes sujets, tu portes un serpent à trois têtes entre les cornes alambiquées de ton front.

Une fois le Carnaval terminé, dans l’ambiance duquel tu t’abandonnes complètement à la danse, à l’amour et à l’alcool, tu pénètres à nouveau dans les ténèbres de la mine, où tu n’es plus Lucifer mais le Tio protecteur des mineurs. Ils te considèrent comme le syncrétisme culturel entre la religion catholique et le paganisme ancestral, non seulement parce que tu es le protagoniste des légendes autour de la mine et de son monde, mais aussi parce que tu es un être mythique capable de rendre esclaves et de libérer les hommes avec tes pouvoirs magiques.

Du reste, maintenant que je regarde à nouveau ton image, j’ai l’horrible sensation que tu me poursuis comme si tu étais ma propre ombre ; parfois, tu es plus près de moi que le Méphisto de Faust et je sens que tu veux me faire céder à la tentation, me poussant à commettre d’horribles péchés dont même la mort ne me sauverait pas. De même, dans le mystérieux labyrinthe de mes rêves, je prends ton visage pour parler avec une voix de diable, comme si tu existais vraiment dans la réalité et pas seulement dans la fantaisie de ceux qui, envahis par la peur et la superstition, te voient plus dangereux que le dragon et plus féroce que le Minotaure, moitié bête et moitié homme.

Glossaire :

Tío : Divinité. Diable et dieu tutélaire qui habite l’intérieur de la mine. Les mineurs le craignent et lui font des offrandes.
Callapos : Troncs d’arbres sur lesquels on marche dans la mine.
Pijcheo : coutume de mâcher de la coca.
Ch’alla : cérémonie au cours de laquelle on célèbre un événement en arrosant le sol avec de l’alcool, de la chicha (bière de maïs) ou de la bière. C’est aussi une offrande ou un sacrifice en l’honneur du Tio.
Pachamama : Terre Mère. Divinité des Andes.
K’uyunas : cigarettes roulées dans du papier rustique
Huari : Divinité mythologique des Urus, protecteur des troupeaux de lamas et personnage symbolisé par le Tio de la mine.
Supay : Diable, Satan. Personnage qui représente la symbiose entre la religion andine et la religion catholique.
Thiula : Tio.
Chinasupay : Diablesse. Déesse et épouse du Tio.
Jukumaris : Ours. Symbolisent la force du peuple andin, mais aussi la pénétration européenne dans le territoire des Urus.
Mallkus : Condors.
Photo: Stanislas de Lafon
Traduction: Diomenia Carvajal et Emilie Beaudet

La Reconquête de l'Amérique

Je passe certes beaucoup de temps devant la télé et peut-être pas assez dans mes bouquins, mais parfois de très bons reportages se substituent aux prises de notes entêtantes. Témoin celui de Gonzalo Arijon que je viens de terminer de regarder sur Arte. "L'Amérique Latine à la reconquête d'elle-même", une sorte de panorama, de portraits croisés, des différents pays du continent qui ont pris, selon l'expression consacrée, un "virage à gauche", qui ont en fait surtout pris leur destin en main après des siècles de colonisation, européenne, puis américaine, surtout mentale. Difficile de lutter contre la colonisation des esprits qui veut que tout le monde reste à sa place, les pauvres d'un côté, les riches entre eux, les blancs ensemble et les indigènes à part. En témoignent ces images atroces du massacre des indiens à Pando en Bolivie, le 11 septembre 2008, et cette foule assoiffée de vengeance face à la dissolution de ses privilèges qui scande le mot "assassin" en réponse à celui de Evo Morales évoqué par le Comité Civico de Santa Cruz. "Pourquoi devrions nous remplir les poches de ces gueux?" Des mots clairement animés par un désir de domination, voir d'extermination, des images qui nous rappellent clairement les années 30 en Europe et la montée du nazisme. Peur. Et pourtant la vague d'espoir continue, balaie tout sur son passage. Evo Morales, premier président indigène du continent américain qui invite ses concitoyens à se réveiller; Hugo Chavez, le Venezuela dans tous ses excès, qui crie à une foule en délire que tout est possible; Rafael Correa, l'économiste équatorien, qui décide de créer une Constitution respectueuse de la nature et des populations ancestrales avec leur cosmogonie; Lula, l'ancien syndicaliste, qui accepte de céder ses entreprises pétrolières au peuple Bolivien. Une tornade d'optimisme secoue le continent, malgré les violentes oppositions pilotées depuis les Etats-Unis. Et en fil rouge de ce magnifique documentaire, l'avis de l'écrivain Eduardo Galeano, qui affirme qu'il est maintenant temps de se regarder d'égal à égal, et de cesser -et il s'adresse à l'Europe, aux Etats-Unis- de se croire plus légitime que les autres pour juger de ce qui est bien ou mal, pour établir des classements illusoires qui diraient que tel gouvernement n'est ou n'est pas démocratique, que tel autre est populiste, que celui-là n'est pas légitime. La voix du sage, qui appuie ces enfants en rebellion que sont les pays d'Amérique Latine qui sont entrés dans un processus de reconquête, de leurs territoires, de leur économie, de leur identité.

vendredi 27 novembre 2009

Las luchas del monte


Ils sont venus un jour, ont pris les terres, brûlé les maisons. A la place, ils ont fait pousser du soja, beaucoup de soja. Cette histoire se passe en Argentine, elle est universelle. La seule solution, c'est de résister.

mardi 17 novembre 2009

Evo Nuestros abuelos lucharon contra el imperio inglés y contra el romano


Encore une absurdité des médias de Santa Cruz qui cherchent à tout prix à ridiculiser le Président Evo Morales, ici en interprétant à leur manière l'un de ces discours.
D'abord, ils croient entendre que Evo dit revenir "de Genève, en Espagne" et donc affirment par là sa médiocrité en géographie. Or Evo dit bien qu'il revient "d'Espagne... de Genève et d'Espagne", ce qui n'a rien à voir.
Ce qui semble provoquer le ton terriblement ironique de la présentatrice camba, c'est cette phrase du Président:
"... nos ancêtres ont lutté contre les Empires britanniques, romains, et aujourd'hui nous luttons contre l'Empire Nord Américain"
Pour les médias, pas de doute, Evo fait là une énorme bourde. Mais, de quels ancêtres parle-t-il? Et, lorsqu'il prononce le mot "indigènes", en connaît-on vraiment le sens? "Indigène", selon la définition du dictionnaire, c'est celui qui est "originaire du pays où il vit". Il y a donc des indigènes dans le monde entier. Par ailleurs, on semble ignorer que parler d' "ancêtres", de la part d'un indien bolivien, en faisant référence aux Espagnols, n'est en aucune façon une absurdité. On en est presque ici à nier la notion de métissage existant depuis la Conquête de l'Amérique par les conquistadores ibériques. Sans doute certains boliviens ignorent-ils que eux, Panozo, Jimenez et autres Garcia, portent des patronymes tout à fait espagnols!
Le plus étonnant, c'est que les médias et l'opinion camba, qui critiquent vertement la tendance "indianiste" et "raciste" de leur président, passent-ici complètement à côté du fait qu'il reconnait en réalité toute la diversité du peuple bolivien.
En conclusion, si les médias pro Santa Cruz considèrent Evo comme un cancre en géographie, nous pouvons quant à nous craindre qu'ils aient manqué quelques cours d'histoire...

vendredi 13 novembre 2009

Non, rien

Ce n'est pas possible! Elle n'a rien à dire et il faut qu'elle la ramène quand même! Non mais celle là alors!
Oui, mais bon, je sens bien que vous vous languissez de moi, de mes coups de gueule et de mes articles culinaires hautement philosophiques. Alors, non, je n'ai rien à dire, mais oui, je vais vous le dire quand même.
Ma chronique inutile portera donc aujourd'hui sur la mode à la télévision espagnole. Ce charivari de couleurs, cette explosion de tons multicolores. Comme on dit, ça permet de règler notre téléviseur! Par contre, dès le petit déjeuner, tout ce rouge, ce mauve et ce vert mélangés sur un même plateau à fond bleu ciel, c'est anti digestif. De quoi faire une crise de foie dès le matin. Et cette envoyée spéciale en Asie avec sa chevelure rousse, que dis-je, orange, rouille, jus de carotte, potiron! Même combat dans les séries B, où soit dit en passant les acteurs sont aussi crédibles que votre serviteur en karatéka: comment mettre dans une même pièce aux rideaux à fleurs, assises sur un canapé à rayures marron, trois actrices respectivement en tailleur rouge, vert et mauve? Et cette broche en or "oie sauvage" sur cette veste écarlate... LE bon goût par excellence en fait.
Ca me rappelle Grenade le samedi soir il y a quelques années, et les minettes en bottes blanches, mini jupes et pulls à rayures. Que du bonheur! Et on dit que les anglais sont mal fagotés! Ceci dit, il n'y a pas que dans la rue où à la télé -ahhh, la reporter sportive en survêtement pour bien qu'on comprenne qu'elle nous parle de foot! A quand le reporter de guerre auto mutilé pour l'occasion?- que le désastre visuel sévit, les films de Pedro Almodovar font aussi très souvent mal aux yeux.
Enfin, toujours est-il que si vous avez l'occasion de zaper sur la RTVE Internacional, mettez des lunettes de soleil.
(Vous voyez, je suis en pleine forme, et non, je n'avais vraiment rien de passionnant à vous écrire)

lundi 2 novembre 2009

Un cancre exemplaire

Daniel Pennac, Chagrin d'école, 2007.

Un livre, sur le cancre qu'il était, un indécrottable cancre, irrécupérable, devenu féru de lettres, professeur et écrivain, armé de dictionnaires pour corriger son orthographe toujours incertaine. On a du mal à le croire, que nos élèves pourraient "devenir", ceux pour qui nous pensons qu'il n'y a plus rien à faire pour eux, qu'ils sont des ratés en puissance. Et pourtant... Pennac était véritablement un de ceux là, de ceux pour qui les noms propres et les dates s'effaçent aussi vite que par la magie d'un coup de vent dans leur cerveau, ceux qui oublient instantanément le peu qu'ils ont réussi à retenir, ceux qui sont persuadés qu'ils n'ont pas d'avenir, que dans le futur, ils seront juste les mêmes, les mêmes en pire. Un petit livre donc rempli d'enseignements, pour les enseignants justement, qui ignorent la plupart du temps comment se comporter avec un cancre, vu que souvent ils étaient de bons élèves. Enseignement aussi pour les parents, souvent désorientés, désarmés, que va-t-on faire de lui?, qui leur démontre que parfois, le vent tourne, on ne sait jamais, il ne faut pas désespérer. Et c'est là qu'on se dit que, selon ce que raconte Pennac, les profs ont parfois un rôle très important, consciemment ou inconsciemment. Parce que l'auteur a été sauvé de sa cancrerie par certains d'entre eux qui étaient dans la classe, pleinement, et pas ailleurs, amoureux de ce qu'ils faisaient, sachant créér une parenthèse dans leur classe, suspendre le temps et les élèves à ce qu'ils racontaient, vivaient, enseignaient, transmettaient. Et puis tout au long de ce livre, de cette réflexion, des échanges avec l'ancien cancre de Pennac, toujours présent, revenant parfois pour le faire douter de qu'il écrit, de ce qu'il est, et affirmant que le problème, ce ne sont pas les problèmes économiques, la violence, le nombre d'élèves par classe, la société de consommation. Non, le problème c'est de passer de l'ignorance à la connaissance, et pour le prof de se mettre à la place de celui qui ne sait rien, d'être patient en toutes circonstances, de se souvenir toujours de ses propres difficultés; un Capes ou une Agreg donc où, d'après le cancre toujours, on devrait instaurer une épreuve de souvenir de mauvaises notes, d'exercices ratés, de leçon oubliées. Le mieux en somme, pour être un bon prof, c'est de toujours rester un élève. Et bien, il me semble que beaucoup devraient en prendre de la graine, ceux qui pensent que leur métier est l'aboutissement de toute leur vie, qu'on doit les valoriser, voir même les vénérer pour le savoir qu'ils détiennent (d'ailleurs, qui détient quoi?), ceux qui pensent qu'ils ont "la" méthode et qu'ils ne doivent plus se remettre en questions... Je suis plutôt de ceux qui avouent ramer, faire ce qu'ils peuvent, chercher toujours des solutions, et ramer encore. Et je me reconnais dans ce que dis Pennac: les meilleurs sont sans doute ceux qui font des tonnes de choses après l'école, en dehors, loin, très loin de leur métier; et non pas les autres, perpétuels frustrés en attente de mieux et qui misent tout sur leur travail, névrosés de la salle des profs. Pour être un bon prof dit Pennac, il faut avant tout être une personne riche de ses expériences personnelles, et donc, puisque sa vie est ailleurs, totalement présente dans sa classe quand il le faut.