lundi 28 septembre 2009

Je brade!

J'ai lu dans un livre récemment, alors que j'étais prise d'une folie de rangement et de "jetage" aiguë, que l'on ne devait garder chez soi que les choses essentielles. Il en était de même pour les livres. Je ne suis pas une grande acheteuse de bouquins, j'ai toujours été adepte des bibliothèques, et je me suis donc attelée à la tâche de choisir, parmi tout ce que j'avais acumulé, les livres "vibrants d'énergie", ceux qui m'avaient apporté véritablement quelque chose. Bien sûr la vérité n'est pas forcément dans les livres, mais certains, par des situations, des phrases clés, une possibilité d'identification, permettent d'avancer un peu mieux dans la vie. J'ai ainsi conservé quelques "balises" qui m'avaient été d'une certaine aide sur le chemin: "Les sept plumes de l'aigle" de Henri Gougaud, "Azteca" de Gary Jennings, les livres de Bernard Giraudeau, et évidemment tous les ouvrages en rapport avec mes recherches. Pour les autres, je ne savais que faire. Les vendre? Mais vendre des livres d'occasion ne me rapporterait pas grand chose! Les donner? Mais à qui? Les offrir? Pourquoi pas... Alors après avoir constitué une liste ce week end, j'ai pris la décision de vous en parler. Ces livres, je vous les donne. A vous, oui! S'ils vous intéressent, prenez-les, je vous les envoie! Ou mieux, je vous les offre en mains propres. Il y a de tout: en espagnol, en français (et même un en portugais!). Des romans, des essais, des ouvrages collectifs de recherche, des BD, des documents. Certains comportent quelques griffonages, mais ils restent toujours lisibles.
Alors si cela vous intéresse de jeter un coup d'oeil sur cette liste, envoyez moi un mail, je vous la ferai parvenir. Le but étant de vous faire plaisir, à ceux que je connais et ceux que je ne connais pas, mais aussi et surtout de me débarrasser!
A vous de jouer!

dimanche 27 septembre 2009

Vu de l'intérieur et de l'extérieur

Dominique Ponchardier, La mort du condor, 1976.

Tout commence par une manifestation d'écoliers dans les rues de La Paz, dans les années 60. La voiture dans laquelle se trouve l'ambassadeur de France peine à avancer dans cette furieuse cohue. C'est la première fois que nous le rencontrons, et nous allons suivre les événements qu'il nous raconte avec beaucoup d'intérêt et d'amusement. Ponchardier, vieux briscard de la dernière guerre, propulsé ambassadeur en Bolivie par de Gaulle. Il n'a pas l'habitude des cocktails mondains, des ronds de jambes et des formules de politesse hypocrites. C'est d'ailleurs cela, ce caractère franc et direct, sans détours, qui nous le rend si familier, notre ambassadeur. Avec un langage qui reflète sa personnalité, bref et précis, soucieux du détail et parfois familier, Ponchardier nous raconte ses années en Bolivie au temps de Victor Paz Estenssoro. Il nous fait vivre en direct le coup d'Etat du général Barrientos en 1964, les dessous de table, les secrets de polichinelle et les coups bas, dans ce milieu politique corrompu et calculateur où rien n'est laissé au hasard, fait de fausses amitiés et d'intérêts personnels. Puis c'est la période de la guérilla du Che, 1967, et les interrogations sur son hypothétique présence dans la vallée orientale. Les interrogations, les doutes, les manipulations, et la présence d'un français au milieu de cette galère révolutionnaire: Régis Debray. Ponchardier se retrouve alors dans une position désagréable, devant à la fois préserver son traité culturel entre la Bolivie et la France et donc ne pas froisser ce cher Président Barrientos, et sauver la peau d'un ressortissant français qu'il est en son devoir d'ambassadeur de protéger, quelles que soient ses idées. On nous décrit alors dans les moindres détails l'arrestation et l'emprisonnement de Debray à Camiri, l'organisation de son procès, les négociations, son mariage avec Elizabeth Burgos. Un résumé intéressant du travail d'ambassadeur. Et puis quelques passages cocasses ou touchants, parfois attendris, sur la réalité du pays et de ses habitants, très proches aussi de ce qu'est la véritable culture métissée de ce pays. En témoigne cet extrait dans lequel l'ambassadeur raconte l'une de ses visites chez une cholita pas comme les autres...
"C'est à ce moment là que survient dans cette pièce un prêtre catholique. Il était accompagné de trois ou quatre hommes en chapeau mou (mas le leur est d'origine), habillés des dimanches, et de quelques femmes en polleras et chapeaux melons (d'origine eux aussi). Les verres louches et épais furent extirpés de la caisse sur laquelle trônait notre hôtesse. Les litrons se mirent à glouglouter dans les godets qui furent engloutis. Le prêtre passa un surplis. Les autres, debouts et fixes, se tenaient muets et attentifs. Le prêtre dit une courte messe devant la table où était posée la pierre consacrée qu'il avait amenée dans une musette. Puis il s'installa au centre de la pièce, Le Yatiri se tenait à son côté. Pendant que le prêtre faisait des signes de croix, les autres enfournaient dans leur bouche de la coca et reversaient de la chicha dans leurs verres. Ils jetèrent le liquide blanchâtre presque sur mes pieds. Je ne savais pas s'il fallait me lever ou demeurer assis. On me fit signe de rester sur mon siège.
La vieille dame soutira sa pierre grisâtre. Je pensais: "Ca y est, nous allons repartir voguer dans les odeurs pénibles". Mais elle avait vu mon air inquiet. Elle me fit comprendre que non. Elle m'expliqua qu'aujourd'hui on allait brûler la huirakoa, une herbe d'une puissante odeur aromatique sans effet sur le comportement humain.
Pendant que le prêtre récitait en espagnol des Pater noster, le Yatiri invoquait Pachamama en aymara. (...)"

samedi 26 septembre 2009

Le mal de terre

Parce qu'il y a des jours où même les deux pieds sur terre l'esprit ne peut s'empêcher de s'envoler ailleurs...
TU M'ENVOLES
Musique Jean-Pierre MARCELLESI/ Paroles Yves DUTEIL
Tu n’es pas mon pays
Et pourtant c’est ici
Que je voudrais finir ma vie
Sur ton île où mes rêves
Ont choisi leur maison
Une montagne à l’horizon…
Comme un arbre à la mer
Quand parfois je me perds
Le courant me ramène en arrière
Voyageur solitaire
Mes racines à l'envers
Partout j'ai le mal de taTerre
J'ai les ailes et le cœur
D'un oiseau migrateur
Et mon vrai pays est ailleurs
J'ai besoin de sentir
Tes parfums m'envahir
Quand la nuit je décolle
Tu m'envoles…
Voyageur imprudent
J'ai cueilli en passant
Deux pétales à ta rose des vents
Le premier pour partir
Effacer les frontières
Le second pour garder ta lumière
J'ai toujours avec moi
Tes visages et tes voix
Un chemin qui conduit vers toi
Une main de corail
Dans la mienne où que j'aille
Ton chant pour guider mes pas
Jusqu’au bout du voyage
Les oiseaux de passage
Restent fidèles à ton rivage
J'ai besoin de partir
Mais pour mieux revenir
Libéré sur parole
Quand tu m'envoles…
J'ai du vent dans les veines
Et ton chant des sirènes
À la fois me libère et m'enchaîne
Naufragé volontaire
Sans barreaux ni barrières
J’ai l’âme à jamais prisonnière
J'ai les ailes et le cœur
D'un oiseau migrateur
Et mon vrai pays est ailleurs
J'ai besoin de sentir
Tes parfums m'envahir
Quand la nuit je décolle
Les deux pieds sur le sol
J'ai besoin de sentir
La fenêtre s'ouvrir
Libéré sur parole
Tu m’envoles
Comme un arbre à la mer…
Voyageur solitaire…
J’ai le mal de ta Terre…
Libéré sur parole
Quand la nuit je décolle…
Les deux pieds sur le sol……
Tu m’envoles.
Tout ça pour dire que je fais beaucoup de choses, que j'ai donc souvent besoin en ce moment de me recentrer pour ne pas me perdre et me disperser. Voilà pourquoi je suis un peu moins présente ici sur ces pages. Cependant je pense à vous.

mercredi 16 septembre 2009

Imposteurs

Il y a quelques années, j'avais travaillé sur la Bolivie avec mes élèves, en partenariat avec ma collègue de musique qui les avait sensibilisés aux instruments et aux rythmes andins, de manière très professionnelle d'ailleurs puisque, ne connaissant pas parfaitement cette culture, elle avait, tout en suivant son instinct, essayé d'en apprendre le plus possible sur la musique bolivienne pour produire avec les élèves quelque chose d'authentique. A la fin de l'année, pour conclure ce travail très enrichissant, j'avais fait venir un groupe de musiciens professionnels boliviens qui avaient interprété une palette de morceaux traditionnels et folkloriques, et fait participer les élèves sur les thèmes et les chansons qu'ils avaient appris. Un projet complet donc, et mettant les jeunes en contact avec de vrais artistes ayant pour seul but la diffusion de leur musique et de leur culture dans toute sa diversité.
Et pendant qu'aujourd'hui les musiciens boliviens qui défendent leur patrimoine culturel en refusant de se prostituer artistiquement en se consacrant à d'autres musiques luttent pour conserver leur travail, d'autres surfent sur la vague de l'imposture et de l'argent facile...
Je vous dit cela parce que je viens de recevoir dans mon casier au collège une brochure d'une dizaine de pages ventant les talents d'un homme -dont je tairai le nom, mais malheureusement il ne doit pas être le seul...- intervenant dans les établissements scolaires avec une animation sur la musique latino-américaine. Je suis bouche bée: ce pseudo musicien est ouvertement recommandé par les inspecteurs d'académie! Depuis quand place-t-on ses amis de cette manière peu délicate?! Ou bien y a-t-il de la promotion canapé dans l'air... Je m'énerve. D'après le long CV de notre homme orchestre, il aurait participé à de nombreux concerts avec un grand nombre d'artistes... Pour avoir mené l'enquête, peu doivent se souvenir l'avoir croisé un jour... en tout cas sûrement pas Bolivia Manta ou Luzmila Carpio comme il l'affirme!
"Qui ça?... Jamais vu."
Je m'insurge. Suite du CV: ce guignol là a également été animateur sur des croisières! Ca en dit long sur sa vision de la musique latino-américaine! J'ironise (et tout cela en direct de la salle des professeurs où je pense que je l'ai publiquement habillé pour plusieurs rudes hivers). Je vais donc vérifier ma première impression sur son site internet (que je ne donnerai pas dans le simple but de ne surtout pas lui faire de publicité). "La cucaracha", "la bamba", "clandestino" (Manu Chao aurait donc remplacé Carlos Gardel?), "El condor pasa"... Je ne comprends alors pas vraiment pourquoi il s'intitule "auteur interprète"?... Et interprète, c'est un grand mot! J'écoute un extrait que je connais pas coeur, "La mariposa", une morenada bolivienne bien connue. Comment vous dire? Une sorte de bourrée auvergnate ponctuée de cris façon Speedy Gonzalez. Les voix? Une mauvaise copie mal accordée -disons très fausse- de Illapu. La rage monte. Le comble? Le mariachi du dimanche permet de télécharger gratuitement ses disques -des torchons auditifs, soit dit en passant-. De la prostitution! La cerise sur le gâteau!
Je saute sur mon téléphone et appelle le meilleur flûtiste de Bolivie (ça le fait hein?!).
"Tu te rends compte? Ce mec est un imposteur! Recommandé par les inspecteurs! Il vous pique votre boulot! C'est n'importe quoi! Il salit la musique bolivienne! C'est même pas un musicien! Moi aussi je peux le faire alors! Je prends mes sikus et je joue la "colegiala" aux élèves!
- Mais des mecs comme ça il y en a plein... ça doit être un chilien...
- Imagine! Il prend 7 euros par élève pour diffuser sa bouillie!
- Ah quand même! C'est vrai, nous aussi on gagnait bien quand on travaillait avec les écoles. On avait fait du bon boulot.
- Ah voilà! C'est fou ce qu'on peut faire pour le fric! ça me dégoûte!
- Laisse tomber!
- Je vais écrire un article sur lui, je vais le démolir ce clown!
- Fais attention quand même."
Bon, la morale a parlé, je n'ai pas mentionné son nom, mais des comme lui, ça court les rues, des imposteurs de la musique, des profiteurs du système, des magouilleurs professionnels. Je vous jure, si je le croise dans la rue, je lui crache au visage, non sans m'être auparavant gaussée de sa technique innégalable à la zampoña et lui avoir envoyé dans la face les insultes des vrais artistes latino-américains bosseurs et authentiques.
Je donne le nom par mail à ceux qui veulent le pourrir, cet imbécile qui est à la musique ce que le hip hop est à Mozart.

dimanche 13 septembre 2009

Le Tio arriva dans les mines une nuit d'orage - Victor Montoya

- Maintenant que je suis prisonnier de tes griffes et de tes caprices ; maintenant que tu habites mon corps comme tu le fais avec les faibles d’esprit, peux-tu me raconter ton arrivée dans les mines ?
- A la fin du XV ème siècle, je sortais de l’enfer et, à mi-chemin, sans savoir où j’allais atterrir, je décidai de me réfugier dans un village minier enclavé dans la Cordillère des Andes, dont les cimes enneigées et les versants escarpés offraient une vue splendide sous le ciel limpide de l’Altiplano...
- Tu es venu à pied ou en volant ?
- Ni à pied, ni en volant, mais monté sur un cheval alezan, dont la monture et la sangle étaient incrustées de pierres précieuses. Les étriers et le mors, bien qu’étant en fer, répandaient une lueur argentée. J’errai pendant longtemps comme traîné par le souffle du vent. Le cheval, exposé à la rigueur des intempéries et refusant d’obéir au commandement des rênes, avança toujours vers l’horizon, en direction du soleil levant. Ainsi, sentant sous mes jambes le mouvement saccadé de ma monture, je traversai les montagnes, les plaines et les rivières, jusqu’à ce qu’enfin, depuis une haute cime, je devine un vaste plateau se perdant dans le lointain. J’éperonnai la croupe du cheval et celui-ci galopa sans retenue. A la tombée du jour, laissant derrière moi un tourbillon de poussière, les nuages cachèrent la lumière de la lune, l’averse s’abattit sur la terre et les éclairs illuminèrent le ciel telles des vipères de feu. Cette même nuit, remplie de lueurs et de tonnerre, je chevauchai au trot et au galop et pénètrai dans le village minier accompagné par les aboiements des chiens.
- C’est pour cela qu’on dit que tu es arrivé dans les mines une nuit d’orage ?
- C’est exact. J’arrivai une nuit d’orage, confirma-t-il sans détours, alors que l’éclat de ses yeux illuminait son visage. Je n’étais ni enveloppé dans une mèche de cheveux, ni dans une trombe de feu, mais à cheval, comme les sept cavaliers de l’Apocalypse. Le lieu me plut dès le premier regard. C’est pourquoi je décidai d’y rester pour toujours tel le voyageur qui un jour trouve le bout de son chemin. J’eus recours à mes pouvoirs magiques pour faire disparaître le cheval puis j’entrai dans une mine sans que personne ne le remarque. Au fond, dans une galerie éloignée et abandonnée, j’installai mon trône, me rendis maître des minerais et des mineurs.
- Comment ?
- Avec fermeté et conviction, en leur inspirant de la peur par mon aspect diabolique et du respect avec mon fouet à la main.
- Quelqu’un s’est-il déjà rebellé contre ton autorité ?
- Hmm... Il émit un son nasal, réfléchit un instant et ajouta : Une seule fois, mais très vite j’établis le châtiment.
- De quelle manière ?
Le Tio se leva de son trône, fit claquer sa langue et son fouet en l’air, comme pour fouetter une bête, et dit :
- J’attachai le mineur rebelle à la roche, le dépouillai de ses vêtements à coups de griffes, l’abordai haletant comme une bête enragée et l’écorchai sans ménagement, jusqu’à le laisser noyé dans son sang et la peau en lambeaux. Depuis ce jour, j’attrapais par les épaules quiconque tentait de se soustraire à mes ordres, lui montrais le fouet à sept cordes, qui trempait presque toujours dans le vinaigre pour être plus dur et je lui sifflais cet avertissement : Si tu n’obéis pas à mes ordres, je te ferai tâter de ce fouet, bon sang !
Je restais bouche bée et avec la chair de poule rien qu’en imaginant la scène du châtiment.
- Veux-tu savoir autre chose ?, demanda-t-il en me fusillant de son regard incandescent.
- Oui, répondis-je encore frémissant en entendant le châtiment brutal et sans pitié qu’il avait infligé au mineur. Puis, tentant de dissimuler ma peur, j’ajoutai : Je voudrais savoir comment tu étais habillé.
- Comme tu me vois maintenant, comme un Lucifer qui, dans une attitude de pouvoir et de domination, portait son fouet à la ceinture. Mon habit, y compris la cape et les bottes, était couvert de filigrane et de pierres précieuses : rubis, topaze, diamant, émeraude, chrysolite, pierre d’onyx, saphir, malachite, perle, turquoise et béryl. Les bijoux que je portais autour du cou et aux poignets avaient été taillés dans de l’or et de l’argent dès le jour de ma création. De sorte que lorsque j’arrivai dans les mines je portais le même costume que j’avais avant de me rebeller contre la parole de mon Créateur et avant d’être défait dans une cruelle bataille, par l’archange Saint Michel, qui, après m’avoir mutilé les ailes avec son épée à double lame, m’expulsa du royaume céleste en me faisant tomber à pic vers les chaudrons bouillonnants de l’enfer. Ce qui est intéressant, c’est que mes joyaux, loin de fondre dans le fracas des hautes températures, conservèrent toute leur slendeur...
Je ne pus contenir ma curiosité et voulus savoir pourquoi il s’était rebellé contre son Créateur, qui est aussi notre Créateur et celui de l’univers, aussi je lui lançai une autre question :
- Et pourquoi t’es-tu rebellé contre Dieu ?
Le Tio me regarda desespéré par la faible capacité de ma mémoire à retenir les choses et, sur le point de perdre patience, ronchonna.
- N’aies donc pas la tête dure. Je ne suis pas d’humeur à user ma salive et mes poumons en répétant la même rengaine. Tu as la mémoire plus courte qu’un fil de dynamite au moment de l’explosion. Il serait judicieux que tu te trouves une mémoire aussi puissante que le disque dur de ton ordinateur. D’ailleurs, si tu ne te souviens pas de certaines choses, bien que tu les aies toi-même notées, je te conseille de les rechercher sur Internet. Tape mon nom, le thème de notre conversation et, tac-tac-tac, tu les trouveras en un clin d’oeil.
- D’accord, lui dis-je, mais présentement, comme je ne me souviens pas de la satanée cause de ta rébellion contre Dieu, s’il te plait raconte le moi encore une fois.
Le Tio, remarquant mon ton suppliant, accéda bon gré mal gré à ma demande et recommença l’histoire.
- Comme je te l’ai déjà raconté en d’autres circonstances, et je le raconte autant à toi qu’à moi-même, je me suis rebellé contre Dieu parce que j’étais un ange beau et de compétition. Je me remplis d’orgueil et d’arrogance et, désireux de prendre sa place sur le trône de l’univers, j’entamai une guerre dans les cieux, soutenu par une armée d’anges rebelles prêts à se soumettre à ma volonté. La guerre dura plusieurs jours et plusieurs nuits, jusqu’à ce que les partisans de l’archange Saint Michel, fidèle défenseur de la justice divine et chef des milices célestes, me fassent mordre la poussière de la défaite, me jetant la tête la première dans les gueules de l’enfer. C’est ainsi que d’ange porteur de lumière et de savoir, je devins le souverain des ténèbres et le prince des démons qui errent, cherchant à perdre les mortels.
- Pour ceux qui ne te connaissent pas, comment décrirais-tu ton apparence ?
- Bien que je fûs créé avec une beauté incomparable, dit-il avec un accent de mélancolie, l’enfer se chargea de me déformer jusqu’à la limite de l’horreur. C’est pourquoi j’ai le visage que j’ai. A la lumière du jour, je suis plus laid qu’un iguane et plus rondouillard qu’un crapaud. Ma chevelure, dont les boucles tombent sur mes épaules, est de couleur rougeâtre, ce qui contraste avec ma peau noircie par les fumées de l’enfer ; l’éclat de mes yeux brille comme le feu et mon regard dans un miroir m’effraie moi-même. Mes oreilles, en forme d’ailes de chauve-souris, me permettent de capter jusqu’aux bruits de l’au-delà, de même que mon nez difforme me permet de percevoir les odeurs des tréfonds de ce monde. Les cornes sur mon front, tordues comme des serpents venimeux et pointues comme celles des casques vikings, forment sept spirales qui symbolisent les sept péchés capitaux. Que puis-je te dire de mes sabots ? Qu’ils ressemblent à des griffes aux ongles recourbés, durs et pointus. Sur mon pénis je préfère ne rien vous dire pour ne pas choquer les âmes sensibles et parce que personne ne le croirait sans l’avoir vu de ses propres yeux...
- Et que peux-tu dire de ton tempérament ?
- Qu’il varie selon les circonstances : je peux être léger comme la brise et fort comme la tempête ; parfois je suis bienfaisant et généreux, et d’autres fois sans pitié et vengeur. Lorsque je suis de mauvaise humeur je peux agir sans compassion, comme le dragon à sept têtes et dix cornes, et avec une force physique supérieure aux forces surhumaines de Thor, le dieu guerrier de la mythologie scandinave.
- Ah, ah !, m’exclamai-je aussitôt. Maintenant je comprends pourquoi on dit que personne n’effraie le Tio, pas même toutes les vierges et tous les dieux réunis, et encore moins la Vierge du Socavon (La Vierge du Socavon est vénérée dans les mines de Bolivie, le socavon correspondant aux galeries souterraines.NdT), qui est une simple réplique de la Vierge Marie que le christianisme a universalisée pendant des siècles.
- Cette fois tu as tapé dans le mille, corrobora-t-il prenant une attitude d’être incorruptible. Par ailleurs, tu dois savoir que je suis capable d’illuminer l’esprit de n’importe quel mortel avec le savoir provenant du diable Vauvert.
A ce moment de l’explication, je fis la sourde oreille, car cette histoire de « savoir » et de « diable Vauvert » était une répétition inutile. Je l’avais déjà entendue en d’autres occasions. Je songeai à ce que je voulais vraiment savoir, et demandai :
- Depuis quand t’appelle-t-on Tio ?
- Depuis que les mitayos (Les « mitayos » étaient au temps de la colonisation espagnole des travailleurs forcés venus travailler dans les mines .NdT) me virent pour la première fois dans les galeries de la mine, où j’apparais parfois en tenue d’Adam et d’autres fois paré de mon costume de Lucifer. Ma vie est partie prenante de la mythologie andine et de la cosmovision des quechuas et aymaras. Je me considère comme un personnage fabuleux, un prototype du syncrétisme religieux et du métissage. En moi se réunissent les coutumes chrétiennes de l’Occident ainsi que les croyances païennes des cultures ancestrales, et en moi fusionnent la race indienne et la race blanche depuis l’époque de la colonisation. Je suis une divinité bienfaisante et malfaisante, dieu et diable à la fois. Les mineurs me rendent hommage parce qu’ils voient et sentent que j’ai de l’autorité sur toutes les choses. Ils m’offrent de la coca, des cigarettes et de l’alcool dans un acte rituel qui se répète avant, pendant et après chaque journée de travail. Bien que certains m’appellent Huari, Satan, Lucifer, Belzebuth, Bélial, Samaël, je suis plus connu sous mon nom de Tio.
- Alors c’est vrai que tu es, en plus d’être le diable, l’incarnation du dieu Huari, dont la mission était de veiller à la prospérité des Urus et de protéger les camélidés sur le plateau andin.
Le Tio se tut, baissa les yeux et remua légèrement la tête. Son corps réagit avec l’inquiétude de celui dont l’âme garde un secret et son visage se remplit d’une expression de nostalgie, mais d’une nostalgie tranquille, pensive. Un bref silence s’installa ainsi entre nous, jusqu’à ce qu’il relève les yeux et que je recommence à le harceler avec mes doutes et mes affirmations.
- On dit aussi que dans ton costume, brodé avec des insectes, des batraciens et des reptiles, on peut voir les quatre plaies malveillantes (le crapeau, le lézard, la vipère et les fourmis), que tu as déchaînées comme vengeance et châtiment contre la communautés des Urus, qui t’avaient tourné le dos pour adorer Inti, le dieu puissant et lumineux qu’adoraient les Incas.
- C’est ce qu’on dit ?!, se surprit-il avec un grand étonnement. Pourvu qu’on continue à croire ces légendes. Plus on m’attribuera de mythes et plus on inventera de contes autour de mon existence, mieux ce sera pour moi. Ainsi on ne retrouvera jamais la piste de ma véritable origine. Je me contente d’être la synthèse parfaite du Bien et du Mal, mi-dieu mi-diable. Ah, ce que je te raconte là n’est qu’une version supplémentaire de ce que sont mon essence et mon origine. Tu ne dois évidemment pas croire tout ce que je raconte. Souviens-toi toujours que j’incarne non seulement les sept péchés capitaux (orgueil, cupidité, luxure, colère, gourmandise, envie et paresse), mais également le péché du mensonge. Je n’ouvre pas la bouche pour énoncer seulement des vérités irréfutables, mais aussi des mensonges de diable affabulateur et dupeur. Ma langue est faite pour raconter des mythes, des légendes, des fables et des contes, qui un jour feront partie de la tradition orale...
A nouveau, à cet instant de son discours, je fis la sourde oreille et sortis de la pièce, sans savoir quelle part de vérité et de mensonge il y avait dans ses paroles. J’étais confus et chaque fois plus près du vieil adage selon lequel : « Si l’on remarque en vous peu de sincérité, on ne vous croira pas, même si vous dites la vérité. »
Crédits photos: Photo 1: Joson Devitt; Photo 2: Javier Claure
Traduction: Emilie Beaudet

samedi 12 septembre 2009

Une fête bolivienne

Qu'est-ce qu'une fête bolivienne à Paris? En quelques mots... Aujourd'hui avait lieu le premier anniversaire de la Banda Bolivia, avec en toile de fond un grand concours de chicharron -l'un des plats nationaux les plus réputés, dont toutes les bonnes cuisinières possèdent "la" meilleure recette- ainsi que des concours de sapo -jeu qui consiste à envoyer des pions dans la bouche d'un crapeau en métal, ou faute de mieux au plus près de lui, de cacho -un jeu de dés-, etc... Plusieurs groupes de danseurs devaient se joindre à la fête pour illustrer les morceaux de la banda.
Première étape. 12h30. L'heure à laquelle devait commencer la fête. Personne sur la cancha de Vincennes. Une à deux heures plus tard les premières cuisinières commencent à installer leurs marmites encore chaudes et nous nous ruons d'un seul homme sur le fricassé d'une amie, vraiment très bon, et sur des empanadas tucumanas d'une autre amie, très bonnes aussi. Pour devenir bolivien c'est d'abord par l'estomac que tout passe. On se salue autour des assiettes. Parce qu'ici tout le monde se connaît. Soudée, la communauté bolivienne de Paris? Disons que le monde est petit, ça rapproche. Car les histoires, les ragots, ne manquent pas. Mais au fond on aime se retrouver, se montrer, renouer. Parce que le pays est si loin et nous manque tellement. Au diable les querelles, la Banda commence à jouer et nous voilà transportés. Cueca! Les femmes se mettent à danser, puis on forme une grande farandole. Les sourires sont larges et détendus. Les enfants sautillent eux aussi. Puis le grand concours de chicharron -trois participantes- commence. Le jury est impitoyable et gourmand. La gagnante l'emporte une magnifique machine à coudre premier prix. Comme en Bolivie, puisqu'on vous le dit.


"Reculez, reculez". Les morenadas sont lancées, les danseurs en costume, moreno, cholitas, arrivent en file. Leurs jupons tournoient, les costumes sont flamboyants. Et là nous y sommes vraiment. Là-bas. "Et toi, quand est-ce que tu pars?" Naturellement la conversation s'oriente vers le départ. Les yeux des enfants brillent, subjugués devant le moreno qui fait retentir ses matracas.




La soirée ne fait que commencer. Il est 19 heures. Je m'eclipse. La fête risque de durer encore longtemps. La Banda Bolivia a ses fans. Un premier anniversaire réussi. On a revu les amis, la nourriture était bonne, la paceña aussi. Tous les ingrédients pour une vraie fête bolivienne à Paris. On se voit à la prochaine?
(Photos:emi)

jeudi 10 septembre 2009

Souvenirs d'enfance

W.H. Hudson, Au loin, jadis... Mon enfance en Argentine, 1933.
Nous sommes à la fin du 19ème siècle, en Argentine, au milieu de la pampa et de ses étendues sauvages ponctuées de propriétés et peuplées de gauchos hauts en couleurs. Hudson revient en arrière au temps de son enfance, une enfance reliée à la nature, intégrée à elle, indissociable des oiseaux, des plantes, des animaux, de la plaine. Une enfance passée à chevaucher son poney du lever au coucher du soleil, à observer le moindre signe, la moindre manifestation de la vie animale et végétale. Une véritable fascination, une communion totale avec son environnement pour cet enfant peu adepte de la lecture mais déjà si savant quant aux noms et aux habitudes des oiseaux. Les descriptions sont si documentées, si précises, que cet ouvrage se transforme en véritable guide naturaliste de la pampa argentine de l'époque. Lorsque l'auteur se lance dans le récit d'une partie de chasse ou évoque avec une foule de détails la saison des chardons géants qui en temps de sécheresse entourent la propriété de ses parents, le lecteur ne peut que se figurer parfaitement la physionomie du paysage. Ce qui est surtout frappant dans ce livre, c'est la précision avec laquelle Hudson se remémore certains épisodes de son enfance, des sensations, des émotions vécues il y a tant d'années mais qui semblent si présentes dans sa mémoire d'adulte. C'est que, comme il le dit lui même, cette connection avec la nature ne l'a jamais vraiment quitté:
"La félicité que j'ai ressentie de ma communion avec la Nature ne s'est pas dissipée pour ne me laisser que le souvenir d'un bonheur évanoui, rendant plus intense le malheur présent. Ma félicité ne s'est jamais perdue et, elle eut sur mon esprit un effet d'accroissement, elle redevint mienne, de sorte que dans les plus mauvais moments, lorsqu'il me fallait faire de longs séjours à Londres, éloigné de la nature, malade, pauvre et sans amis, je sentis malgré tout et toujours qu'il valait mieux, infiniment, être que ne pas être."
Une oeuvre à mettre entre toutes les mains mais en particuliers dans celles de gens qui comme moi ont passé une enfance près de la nature, ont appris à reconnaitre les chants des oiseaux, et qui gardent en eux cette connaissance comme une richesse, quand perdus au milieu de grandes villes pollués le vol d'un rouge queue sur le trottoir goudronné les fait soudain sourir et frissonner de nostalgie.
"Je veux encore monter à cheval en plein midi, aux jours les plus brûlants, quand toute la terre n'est qu'un scintillement de mirage d'eau; voir le bétail et les chevaux, par milliers, se presser aux sources d'abreuvage; visiter le repaire des grands oiseaux à l'heure silencieuse et chaude, et contempler les cigognes, ibis, hérons gris, aigrelettes d'une blancheur éblouissante, spatules et flamants roses, debout dans l'eau peu profonde qui reflète leur forme immobile; je veux me coucher sur le dos, dans l'herbe d'un brun rouillé, en janvier, et lever les yeux vers le large ciel chaud, bleu presque blanc, peuplé de millions et de myriades d'étincelantes balles de duvet de chardon qui flottent sans trève, les suivre du regard, inlassablement, jusqu'à ce qu'elles me deviennent des choses vivantes et qu'en extase je m'envole avec elles dans l'immense vide resplandissant!..."

La Bolivie à la fête


Ouvrez l'oeil...

mercredi 2 septembre 2009

Rendez vous en terre (in)connue

J'ai encore une fois regardé l'émission "Rendez-vous en terre inconnue" hier soir sur France 2. Cette fois au Tibet, avec Gilbert Montagné. De belles images, beaucoup de larmes. De l'émotion pour certains, des pleurnicheries pour d'autres. Mais ce n'est pas là que je veux en venir. Je suis plutôt bon public, et j'oublie facilement les caméras et le côté artificiel, la médiatisation de la chose. Ce que je vois dans ces magnifiques reportages donc, ce sont les relations humaines mises en avant, celles qui relient si fort des gens au départ si éloignés géographiquement, culturellement, sur des terres en fait peut-être pas si inconnues que cela. Le principe de l'émission veut que les célébrités ne sachent pas à l'avance où on va les emmener. Et ce qui est frappant justement, c'est qu'au bout de quelques jours seulement les gens se reconnaissent comme semblables, unis par les mêmes émotions, les mêmes sensations, le même respect. Alors je me pose la question suivante: par quel miracle, quel hasard, quelle mémoire d'une vie antérieure, quel bout de racine enfoui de notre histoire, reconnaissons nous chez l'Autre, au bout du monde, quelque chose de nous, une âme soeur, un lien familier, un frisson partagé? Comment deux êtres qui s'ignorent totalement peuvent-ils en un seul regard percevoir ce qui ce cache au plus profond de l'autre, se voir comme dans un miroir? Il m'est arrivé, au bout du monde, qu'une vieille dame me reconnaisse, persuadée de m'avoir déjà croisée. Il m'est arrivé aussi, loin, de serrer une main dont la force m'a rappelé des sensations maternelles même antérieures à ma propre vie. Il m'est arrivé, là-bas, de trouver un frère, une soeur, et de sentir la déchirure de me séparer de mes racines au moment du départ. Un jour quelqu'un m'a dit que nous n'étions pas forcément né dans le bon pays, et que toute notre vie ressemblait parfois à la quête de notre "vraie" terre. C'est ainsi que dans des voyages improbables, grâce à des rencontres sans espoir de retour, nous nous rapprochons de ce que nous sommes.

(Photo:Luis Chugar)

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