mardi 28 juillet 2009

César Lora, caudillo et martyr ouvrier - Victor Montoya


Avec une poignée de terre de Bolivie, j’apportai aussi dans mon exil ta photographie, qui des mains du dirigeant mineur Cirilo Jimenez est passée à celles de ma mère, puis aux miennes. Dès lors, je ne cessais de te regarder chaque jour, parce que tu trônes en bonne place sur mon bureau.

Tu m’accompagnes pendant les longues heures de solitude et tu es le premier à lire tout ce que j’écris ; plus encore, ton image me poursuit depuis l’enfance et l’époque où tu vivais à Siglo XX, là où le soleil tombait à pic et les tornades faisaient voler les toits dans les airs. C’est sans doute pour cela qu’en écrivant ces lignes je sens encore l’odeur de la copagira.

Sur cette photographie, prise au bureau de l’Entreprise Minière Catavi, tu portes fièrement ton vêtement de mineur : bleu de travail aux poches amples au niveau de la poitrine et chemise de toile tachée par la sueur et la poussière, veste grise souillée par la graisse de la perforatrice et casque éclaboussé par les gouttes de silice.

Ton image, à l’aura de caudillo, semble sculptée dans un bloc de granit, où les traits de ton visage apparaissent en détail. La vivacité de tes yeux bridés m’impressionne ; ton regard pénétrant est fixé sur un point précis, tandis que tes lèvres entrouvertes, qui semblent dire quelque chose, laissent entrevoir de petites dents serrées ; l’ombre de ta moustache est aussi noire que l’arc de tes sourcils ; et ta machoire ferme s’élargit à la naissance de ton cou, sous les pattes de ton abondante chevelure rebelle, qui s’échappe sous le casque.

Tu avais une intelligence fine et le don de la parole, si bien que lors des réunions et des assemblées le silence se faisait soudain dès que se levait ta silhouette et que ta voix retentissait, prompte à exprimer les préoccupations de ta conscience, à des moments où il était dangereux de parler et où les conflits s’enflammaient déjà. Tu étais de taille moyenne, mais tu avais forgé ta force physique étant enfant, en te rendant maître des montagnes et des rochers de Panacachi – la vieille propriété agricole de ton père- où tu élevais des chardonnerets et gardais le bétail, tout en te plongeant avec délice dans la lecture de Don Quichotte, parfois assis sur une branche, d’autres fois au bord de la rivière. Tu avais l’agilité d’un félin et la vélocité d’un chevreuil ; tu attrapais le renard en pleine course, domptais le poulain le plus sauvage ou couchais un taureau en le prenant par les cornes, et avec la même force et la même facilité tu capturais un bouc, en lançant sur ses pattes ton lasso noué de pierres.

Depuis ton enfance tu avais partagé le couvert et ton toit avec les pongos de ton père, qui ne douta jamais de ton amour démesuré pour les plus humbles. Tu avais un coeur noble, une bonté sans limite et une modestie qui, pour les tiens, se transformait en générosité et en don de soi. Tu offrais tes vêtements aux nécessiteux et distribuais ton argent à qui en manquait. Comme le dit ton frère aîné : « Tu faisais preuve d’un total désintérêt pour l’argent et le confort matériel. Tu vivais comme un moine et donnais l’impression d’être né pour devenir apôtre. »

Ton désir de justice, que tes entrailles clamaient avec une énergie volcanique, te confronta aux forces de l’ordre et à l’autoritarisme militaire. Cependant, l’irrévérence envers l’autorité et la constante friction avec tes supérieurs te coûta très cher, car le commandement du régiment t’envoya en punition dans la région inhospitalière de Curahuara de Carangas, où tu organisas une mutinerie avec les soldats les plus belliqueux contre la hiérarchie militaire. Puis vinrent les tortures dans les geôles. Tu fus soumis à un Conseil de Guerre et condamné à deux ans de prison, sans autre consolation qu’une pauvre paillasse et un repas par jour.

Lorsque tu commenças à travailler à l’intérieur de la mine, entre la pénombre et la roche impénétrables, tu étais le seul mineur capable de grimper le long des galeries abruptes en portant une perforatrice, et le seul qui se risquait à traverser les conduits d’eau d’un saut. Dans le travail tu faisais preuve d’une volonté de fer et au combat d’un courage indomptable, une attitude qui te permettait de t’affirmer comme un leader né, à la tête d’un piquet d’ouvriers armés de fusils et de dynamite.

Les jours où le froid et le vent étaient forts, et les soirs où le soleil se couchait derrière les montagnes pour laisser place à la nuit, se répandant en étoiles, tu te réfugiais aux côtés du Tio.

Bien que tes faits et gestes fussent en harmonie avec le Matérialisme, tu t’asseyais près du Tio, buvais quelques gorgées d’alcool et mâchais des feuilles de coca, pas véritablement pour soulager ta fatigue ou pour obéir à un esprit enclin aux superstitions, mais seulement pour partager les croyances de tes compagnons indigènes qui, intuitivement, avaient su éveiller ton intelligence et révéler les sentiments que tu dissimulais au fond de ton âme.

Peu après la contre révolution menée par René Barrientos Ortuño, en novembre 1964, ta vie changea de cap ; tu abandonnas la mine suite aux persécutions déchaînées par le gouvernement contre les opposants et trouvas refuge dans un petit hameau du nord de Potosi, où t’attendaient déjà tes assassins, prêts à obéir aux ordres de la Junte Militaire et de la CIA.

Isaac Camacho, ton fidèle compagnon et témoin direct des faits, nous a laissé le témoignage vivant du jour et de l’heure de ta mort : « Le 29 juillet 1965 tu te trouvais dans les environs de Sacana, à trois lieues de San Pedro de Buena Vista. Lorsque tu arrivas au confluent des rivières Torocani et Ventilla, tu rencontras un piquet de civils aux ordres de Prospero Rojas, d’Eduardo Mendoza et d’un autre que l’on surnommait Osio. Enrique Moreno, qui t’avait loué la mule, s’était chargé de te dénoncer. Une fois arrêté, alors qu’on te conduisait à San Pedro, pas très loin du lieu de rencontre des deux rivières, ils commencèrent à te frapper et, soudain, on entendit un coup de feu. » C’est alors que tu tombas sur le dos, le sang éclata dans ta tête et ton coeur cessa de battre. Le tir, sec et assuré, te tua sur le coup.

Lorsque les assassins s’en allèrent par le chemin où tu étais arrivé, Isaac Camacho, prostré, à genoux et te soutenant dans ses bras, constata que le projectile avait pénétré par ton sourcil droit et était ressorti à l’arrière de ton crâne. Ils te tuèrent à 38 ans à peine, mais il en aurait été de même à 60 ou 90 ans, parce que tu vivais contre la montre, confronté à ton propre destin.

Tes restes furent transportés à Siglo XX et veillés au siège du syndicat, où les plus humbles défilèrent au pied de ton cercueil. Les paysans, aux visages austères et enveloppés dans leurs ponchos noirs, vinrent en cortège depuis leurs lointaines communautés pour t’enterrer ; tandis que les mineurs, le regard brillant de rage et le poing levé, montèrent la garde jour et nuit, jusqu’à ce qu’arrive l’heure où ton cercueil, porté sur les épaules des mineurs les plus jeunes, commença à parcourir les rues, se frayant un passage parmi la foule qui assista à tes funérailles.

Sur la Place de Llallagua et aux portes du cimetière vint s’agglutiner une foule en furie et les ovations les plus grandes que tu puisses imaginer s’élevèrent. Les mineurs et les paysans, à qui tu avais dédié tes luttes et ta vie, te rendirent un juste hommage et te saluèrent avec des discours qui promettaient de venger ta mort ; des coeurs jaillirent des larmes de tristesse et des lèvres des paroles remplies de chagrin.


(traduction: Emilie Beaudet)

Glossaire :

Copagira : Eau mêlée à des résidus de minerai, de couleur jaune ou grisâtre, provenant de la mine.
Pongo : Serviteur, la plupart du temps indien, dans une maison ou une hacienda.
Tio : Divinité. Diable et dieu tutélaire qui habite l’intérieur de la mine. Les mineurs le craignent et lui font des offrandes.

jeudi 23 juillet 2009

Tata Bombori

Demain 24 juillet, c'est la Saint Jacques, jour où en Savoie on descend de nuit la montagne à la lumière des flambeaux, faisant scintiller les sommets de mille feux. En Bolivie, on célèbre aussi le Saint, mais nous allons voir que tout n'est pas si simple dans les faits.
Saint Jacques, Santiago, celui de Compostelle en Galice, est le saint que les conquistadors espagnols ont apporté avec eux lors des conquêtes de l'Amérique et en particulier des Andes. Très vite, les indigènes l'ont associé à Illapa, leur divinité de la foudre et du tonnerre, de par le feu qui sortait à grand renfort d'explosions des armes des blancs. Une aubaine pour les évangélisateurs, qui virent aussitôt le moyen de remplacer un culte préhispanique par une sorte d'équivalent catholique -rappelons que déjà en Espagne Saint Jacques faisait l'objet d'une religiosité populaire pas vraiment orthodoxe-. Peu à peu donc, les autochtones se sont mis à célébrer l'image chrétienne, qui par ailleurs faisait des apparitions répétées chez les indiens, parcourant ainsi la campagne -en l'ocurrence les montagnes de la cordillère. Santiago apparut par exemple dans le petit village de Bombori, à la frontière des provinces de Macha et Pocoata, Norte Potosi. Or c'est justement la région des mines, pas très éloignée de Oruro, et surtout Llallagua, Catavi... région où le culte de la foudre est omniprésent puisqu'elle est censée féconder la terre et ainsi créér le minerai. Il en résulte aujourd'hui une célébration métisse aux références syncrétiques catholiques et indigènes inextricables.
C'est ce que nous explique très bien Virginie de Véricourt dans son ouvrage intitulé Rituels et croyances chamaniques dans les Andes Boliviennes. Les semences de la foudre, 2000. Nourrissant son étude de toutes les recherches passées sur les sociétés andines, les croyances et mythes indigènes et leur rencontre avec le catholicisme, l'auteur nous fait pénétrer peu à peu dans l'univers des yatiris à travers la fidèle transcription de leurs dialogues avec les esprits, et notamment celui de la foudre. V. de Véricourt insiste d'ailleurs, et je la salue, sur le fait que la notion de "syncrétisme" est dans ce cas, dans cette région des Andes, beaucoup trop étroite et réductrice pour décrire ces rituels chamaniques riches de symboles entremêlés et conjugués, non pas comme une liturgie, mais dans une création permanente.
Mais revenons à Santiago. Je me souviens l'avoir vu défiler sur les épaules de boliviennes dodues dans le passage devant chez moi, à Cochabamba. Je pensais voir un Saint, mais tout comme certains ne voient que la Vierge dans l'image de la Mamita de Urkupiña -se référer à mes articles sur le sujet dans ce blog-, tout n'était pas si simple. Les choses ont commencé à s'éclairer lorsque tout le monde autour de moi s'est empressé de m'affirmer, "c'est Tata Bombori". Dans les Andes tout est double, rien n'est uniforme et homogène, surtout en ce qui concerne la religion et les croyances. Tata Bombori, Santiago, Saint Jacques, Illapa, ne sont que les multiples visages d'une même divinité qui n'appartient plus ni au catholicisme -au grand regret de l'Eglise-, ni tout à fait aux croyances autochtones, mais bel et bien à une religiosité populaire vivante et en constante évolution. De nombreux Saints et Saintes voient d'ailleurs leur nom et leurs attributions associés à des divinités andines ancestrales -Georges Pratlong a écrit de très justes réflexions sur le sujet-.
Pour terminer, je voudrais juste rendre hommage à la démarche de Virginie de Véricourt, qui, comme d'autres chercheurs et contrairement à ceux qui, reclus dans les bibliothèques, nous vendent de la théorie, est allée vivre dans les communautés indigènes, s'est efforcé de rendre objectivement ce qu'elle y avait vu et vécu, et a retranscrit le plus fidèlement possible le discours des yatiris. C'est de cette expérience concrète et respectueuse des gens et de leur vision du monde, en observatrice discrète, qu'elle tire non pas un ouvrage retentissant d'analyses et de conlusions, mais un document réaliste et actuel sur la culture des Andes et de la région de Norte Potosi.

mardi 21 juillet 2009

J'ai calé

Jacques Lacarrière, L'été grec, 1976.
La Grèce, je rêve d'y aller depuis des années, depuis le temps où enfant je me rêvais archéologue -un jour je vous raconterai!-, ce livre, récit de voyage, était en apparence une aubaine. J'ai commencé cette lecture pleine d'espoir et d'envies de voyages, pour l'arrêter au bout de quelques dizaines de pages, sans énergie pour poursuivre. Pourquoi? Je me le demande. Qu'est-ce qui fait qu'on "accroche" ou pas?
Peut-être parce que je ne suis jamais allée en Grèce et que les descriptions très précises que l'auteur nous fait des paysages, des gens et des monuments ne m'évoquaient rien. C'est une piste. Cependant j'ai lu tellement de récits de voyages ayant pour cadre des pays où je ne suis jamais allée sans pour autant en arrêter la lecture... Plus certainement je me suis lassée de descriptions à mon goût pas assez évocatrices (le voyageur immobile qu'est le lecteur de récits de voyages est assez exigeant, ce qu'il veut, c'est de l'exotisme, fermer les yeux et y être), des pages techniques sur l'histoire, la religion, des passages lyriques où le personnage passe d'observateur à protagoniste, amoureux d'une crétoise dans les ruines de Cnossos, ce qui à mon avis le ridiculise quelque peu et décrédibilise ses écrits. Le changement de registre du document au manuel, du livre scientifique au roman, en fait un ouvrage hybride un peu déroutant. Le style est aussi hétérogène que le contenu, parfois répétitif, manquant de cohérence, fait de retours en arrière vers des scènes déjà décrites. La seule chose qui m'aura fait rire pendant ces quelques pages lues, c'est sans doute ses anecdotes concernant l'hospitalité parfois un peu poussée à l'extrême des moines d'Athos le poursuivant à grands renforts de soupirs amoureux dans les recoins des monastères.
Je me suis toujours efforcée de terminer les livres que j'avais commencés, de là parfois à m'y reprendre en plusieurs fois, demander un prolongement de prêt à la bibliothèque -il me fallait pour cela avoir recours à mes contacts à l'intérieur des services, les bibliothécaires étant très regardantes sur les dates de retour d'ouvrages que pourtant jamais personne n'avait l'idée d'emprunter, du style mon passé chez les eskimos ou mon enfance chez les papous-. Je terminais mes lectures comme on termine son assiette, parce que ça ne se fait pas d'en laisser, que c'est mal élevé, qu'il faut finir, même si parfois on en arrive à l'indigestion. Depuis j'ai appris le souci de ne pas perdre de temps, de ne lire que ce qui m'enrichit, ce dont j'ai besoin sur le moment, ce qui me fait plaisir, un peu comme avec la nourriture. Je n'ai plus d'indigestion. Ce livre là était un peu lourd, un peu fade, voilà pourquoi je me suis arrêtée en chemin.

dimanche 19 juillet 2009

Sagarnaga, eux et nous

Je sais, je ne suis plus trop ici, je me fais rare, et je n'ai pas d'excuses, je suis en vacances... Mais si je ne suis pas vraiment là, c'est que je suis un peu ailleurs... Pas très loin en fait, et après une période de couveuse je peux vous l'annoncer, la naissance: celle du
blog du Grupo Sagarnaga!
Vous connaissez déjà? Parfait! Il faut quand même que je vous dise: nous ne sommes pas seuls. Il y a bien deux Sagarnaga en France, une association et un groupe qui se sont pratiquement créés en même temps, dans les années 80, et qui sans se concerter ont choisi d'adopter le même nom. Sagarnaga, c'est une rue de la Paz, très connue des touristes. En ce qui nous concerne un clin d'oeil à notre condition de "gringos", passionnés par la musique des Andes. Chacun a une trajectoire différente, mais nous sommes tous animés du même désir de diffuser aussi bien que possible cette musique qui nous habite dans toute sa variété et toutes ses dimensions: traditionnelle, autochtone, folklorique, urbaine, rurale, en espagnol ou en quechua.
Le blog du Grupo Sagarnaga vient donc de vous ouvrir ses portes -les plus perspicaces l'avaient déjà découvert dans les liens de cette page, bravo!- et tentera, petit à petit, de vous faire découvrir son univers, ses musiciens, leur répertoire et leurs influences ainsi que les rencontres avec d'autres artistes de la musique des Andes qui sont toujours à l'origine d'un renouveau et d'une amitié enrichissante.
La chicheria est ouverte, bienvenus!
Viva Bolivia Carajo! Jallalla!

dimanche 12 juillet 2009

Le chien aboie, et le condor pasa

Il parait que le public est fan de ce morceau, qu'il le demande à chaque fin de concert, et que donc il serait incontournable pour un groupe de musique des Andes de le jouer au terme de chaque représentation... Soit... Mais qu'est-ce que ce morceau? Au commencement était une oeuvre musicale en plusieurs parties, que peu de monde a sans doute écouté en entier. Plus tard, le grand charanguiste argentin Jorge Milchberg l'a reprise en partie pour la jouer avec son célèbre groupe Los Incas. Enfin, Simon et Garfunkel en ont fait un tube international en le chantant en anglais sur toutes les scènes du monde. Autant vous dire que le mot "galvaudé" est tout juste suffisant pour qualifier ce morceau passé de mode et qui surtout ne représente en rien la musique des Andes. Milchberg lui-même, lors de sa prestation au dernier festival du charango à Paris, s'est arrêté un instant pour nous faire comprendre que si son nom était associé au condor qui passe, ce n'est pas du tout cela qu'il veut mettre en valeur aujourd'hui, que la musique des Andes, la musique bolivienne est infiniment plus riche et plus variée, plus lourde de sens, et qu'on devrait plutôt parler de morceaux autochtones au lieu de se borner à écouter le Condor. Et Milchberg de nous raconter qu'en entendant des khantus en Bolivie, il avait été transporté par ces mélodies remontant aux âges anciens des Andes, c'est pourquoi il avait tenté de les répéter au charango. Ce qu'il fit ce soir là devant nous. Si Milchberg, celui qui a fait voyager et connaître le Condor Pasa, nous dit cela, c'est un message clair qui nous est délivré: attachons nous à rechercher au plus profond des racines, au plus ancien, au plus sincère et vrai de la culture des Andes, et diffusons ce qu'il y a de plus beau, la tradition, le folklore, ce qui touche les gens de là-bas et que certains groupes tentent de valoriser ici avec leurs tripes et leur coeur. Ce qui touche les boliviens par exemple, c'est de voir que leur musique, la vraie, celle qu'ils jouent là-bas dans les fêtes, les carnavals, les chicherias ou les marchés, est jouée ici, par des compatriotes, ou par des français. Alors les sensibilités communiquent et ne font plus qu'une. Pourquoi les gens, le public, demande qu'on leur joue El Condor Pasa? Parce qu'il ne connaissent souvent que ça, que c'est une référence culturelle pour eux, une bouée de sauvetage dans l'inconnu que représente la musique des Andes. Que se passe-t-il si on leur joue à la fin du concert? Ils continuent alors de croire que, étant donné qu'on le joue à la fin du spectacle, c'en est le clou, la cerise sur le gâteau. Pourquoi ne doit-on pas leur jouer? Parce qu'on se doit justement de leur faire découvrir les vastes horizons de l'Altiplano à la Sierra, de la Côte à l'Amazonie, de l'Equateur à la Bolivie. Les sikus, khantus, tarkeadas, ayarachis, l'essence, la source; et les morenadas, caporales, tinkus, la fête, le folklore, la vie. Certains préfèrent laisser le public dans sa fange culturelle; je ne suis pas de ceux-là.


La Anata de Oruro - 2009

(Photo:Luis Chugar)

jeudi 2 juillet 2009

Tensions au Cerro Rico

Depuis la découverte de gisements phénoménaux dans ses entrailles au 16 ème siècle, le Cerro Rico de Potosi n'a cessé de subir une exploitation systématique et violente de ses richesses naturelles en argent, or et autres métaux précieux. Il a nourri les joyaux des cathédrales européennes et fait la fortune d'hommes peu scrupuleux du sort des indiens, forcés de travailler dans l'antichambre de l'Enfer. On dit que 8 millions de mitayoq -nom donné aux travailleurs recrutés de force par les Espagnols selon le système de la mit'a inca, à l'époque travail communautaire et réciproque, transformé par la Colonie en véritable bagne- auraient péri dans les galeries du Cerro Rico. Le dédale de mines créées dans la montagne au fil des siècle fait aujourd'hui d'elle un gruyère menaçant de s'éffondrer à chaque instant. Depuis des années on prévoit la catastrophe sans vraiment proposer de solutions de secours pour sauvegarder les structures industrielles, protéger les mineurs, déjà au quotidien victimes de nombreux accidents -les effondrements de galeries sont fréquents à cause de l'utilisation massive de dynamite-. Aujourd'hui, une fois encore, une difficile tentative de concertation pour résoudre le problème est en marche. D'un côté, le Comité Civico de Potosi et le Ministère des Mines et de la Métallurgie voudraient interdire l'exploitation du Cerro Rico à partir du niveau 4.400. De l'autre, les coopérativistes, dont la majorité des postes de travail sont établis à partir de cette hauteur, refusent de faire une quelconque concession. Ce n'est pas la première fois que les travailleurs des coopératives protagonisent des affrontements violents. Ce fut déjà le cas avec les mineurs du Syndicat dans la région de Huanuni, et cela risque d'exploser encore si un aucun consensus ne ressort des réunions prévues ces jours-ci, car si la restriction d'exploitation au-dessus de 4.400 est finalement adoptée, on parle de destructions des accès au niveau supérieur, et on suppose que, dans cette éventualité, les coopérativistes n'hésiteront pas à employer la force pour défendre leurs positions. Même si pour cela ils doivent dans quelques années, quelques mois ou moins, perdre leur source de travail ou leur vie sous les décombres de la montagne. Car à la fin c'est elle qui décidera de leur sort.

Le Cerro Rico de Potosi

(Photo:emi)